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statuaire de la Renaissance en disant que le propre de l’art était de bien faire un homme et une femme nus.

Sur la fin de sa vie, Ammanati, le voluptueux sculpteur de la fontaine de la place de la Seigneurie à Florence, écrivit à l’Académie des Beaux-Arts une lettre dans laquelle il s’excusait du scandale qu’il avait pu produire par les nudités de ses œuvres, lettre qui semble comme la profession de foi de l’âge nouveau : « Il est plus honorable, dit-il, de se montrer chaste et réservé que dissipé et voluptueux, quelque mérite qu’on puisse avoir dans son art. Ne pouvant détruire mes figures, je veux dire à tous ceux qui les verront que je regrette de les avoir faites. Je veux le confesser publiquement, exprimer mon repentir pour que les autres soient avertis et ne retombent pas dans les mêmes fautes. Plutôt que d’offenser les hommes et Dieu, il vaudrait mieux désirer la mort de son corps et la perte de sa renommée. » L’homme qui parlait ainsi était celui qui avait terminé sa vie en construisant le Collegio romano, celui que les Jésuites avaient converti et auxquels, par reconnaissance, il avait légué toute sa fortune. Et dans cette précieuse lettre, Ammanati, après avoir blâmé l’indécence des statues nues, montre quelles ressources la figure vêtue peut donner au sculpteur ; « Vous savez, dit-il, qu’il n’y a pas une moindre difficulté, ni un art moindre, à disposer au tour d’une figure une belle draperie, avec grâce et logique, que de faire cette figure nue et tout à fait découverte. L’exemple de tant d’hommes illustres le prouve assez. Que de gloire Jacopo Sansovino s’est acquise avec son Saint Jacques, tout vêtu, hors les bras. Une si grande gloire, je ne sais pas si jamais un autre artiste l’a acquise avec une figure nue. Le Moïse de Michel-Ange n’est-il pas considéré comme sa plus belle œuvre ? Et cependant il est entièrement vêtu. Partant c’est une grossière erreur que de vouloir faire des œuvres qui ne peuvent satisfaire que les sens. »

Si Michel-Ange pouvait être loué pour sa décence dans son Moïse, par combien d’autres œuvres, plus encore que l’Ammanati, n’avait-il pas provoqué le scandale ? Jamais on n’a vu dans une église une œuvre plus indécente que son Jugement dernier, où toutes les figures, même celle de la Vierge, ce qui est un exemple unique dans l’art, étaient complètement nues sans que le moindre voile vînt atténuer cette nudité. L’Arétin lui-même se fit l’écho des protestations publiques : « Toi,