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de la Touche-Porée, sous prétexte de vérifier la quantité de grain qui pouvait s’y trouver ; il avait refusé de leur ouvrir et l’un d’eux ayant tiré sur le chien de garde et voulu forcer l’entrée du château, il l’avait tué d’un coup de feu. Les compagnons du mort s’étaient alors dispersés, mais en proférant des menaces telles que Magon de la Villehuchet avait jugé prudent de s’enfuir, précaution à laquelle il devait la vie, car le lendemain les mêmes individus étaient revenus à La Touche, accompagnés cette fois d’un grand nombre d’hommes en armes et avaient incendié la maison après l’avoir mise au pillage. A la suite de cet événement, le châtelain avait passé en Amérique. Il n’était de retour que depuis quelques mois et naturellement désigné aux vengeances terroristes.

Du reste, on ne s’en tient pas aux Magon. Dans toute la contrée, il est des maisons littéralement vidées par les arrestations. Trois demoiselles de Chateaubriand, cinq membres de la famille Bizien, plusieurs Largentaye, plusieurs Lebreton du Blessin, sont successivement incarcérés à Saint-Malo et, avec eux, beaucoup d’autres, parmi lesquels huit religieuses hospitalières et neuf filles de la charité. Les listes des détenus pour Saint-Malo seulement, dressées au commencement de 1794, en portent le nombre à deux cents environ. On y voit figurer, indépendamment des Magon et de leurs compagnons d’infortune qui viennent d’être désignés, le marquis et la marquise de Saint-Pern-Ligouyer, père et mère de la marquise de Saint-Pern-Magon, et de Mme Adrien Magon de la Balue. Ces deux vieillards, — le mari était âgé de soixante-dix-sept ans, — avaient été arrêtés le 12 octobre, à leur château de la Giclais, dans les environs de Saint-Malo. La mesure qui les frappait est motivée en ces termes : « Relations avec la ci-devant noblesse, caractère froid et insouciant, n’ayant de preuves constantes et bien marquées d’incivisme à nous connues ni de vertus civiques. » Ces griefs sont allégués à la charge du marquis. Mais, par voie de conséquence, ils motivent l’arrestation de la femme. On les enferme d’abord dans la prison de Saint-Servan. On les y laisse jusqu’au 5 novembre. Ce jour-là, on a la cruauté de les séparer. Le mari est conduit à Saint-Malo, et c’est le 12 seulement que la femme est autorisée à le rejoindre. Mais ce ne sera que pour un temps, car, bientôt, on les séparera de nouveau. Envoyée à Paris, la marquise ira à l’échafaud et son malheureux époux mourra de