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père, le chevalier de Savoie-Carignan, et enfin le Comte d’Artois.

Constatons dès maintenant, parce que cette circonstance constituera contre Magon de la Balue une charge accablante, qu’entre tant de nobles cliens, le Comte d’Artois tenait la première place, non seulement en sa qualité de frère du Roi, mais aussi par la fréquence et par le chiffre des emprunts qu’il faisait à la banque, en donnant pour gages des assignations sur ses revenus. Antérieurement à la Révolution, ces assignations n’étaient pas toujours acquittées à leur échéance. Elles ne le furent plus, après que le prince eut émigré, et le banquier dut se prêter à des renouvellemens successifs. À la fin de février 1792, la dette du Comte d’Artois envers la banque Magon s’élèvera de ce chef à la somme de 2 313 000 livres. Elle se grossira bientôt de 600 000 livres qu’à sa demande, le banquier lui fera parvenir à Coblentz, en numéraire, ce qui suppose autant de dévouement que de courage, vu la difficulté qu’il y aura alors à se procurer et à transporter à l’étranger des écus et des louis, vu surtout les périls auxquels on s’expose en procédant à ces opérations que les lois révolutionnaires incriminent et punissent de mort.

Au moment où commence ce récit, Magon de la Balue était veuf depuis longtemps. De son mariage avec Mlle Le Franc, fille unique d’un contrôleur des fermes du Roi, lui restaient quatre enfans, deux fils et deux filles, tous mariés. L’aîné, Adrien Magon de la Balue qui le secondait dans la direction de la banque, avait épousé Mlle de Saint-Pern-Ligouyer. Cette jeune femme avait un frère, Bertrand-Auguste de Saint-Pern, marié à la fille aînée du banquier et dont le mariage avait précédé le sien. Il portait comme son père le titre de marquis : on le désignait sous le nom de Saint-Pern-Magon. La fille cadette de Magon de la Balue était devenue la femme du président de Meslay, de la Chambre des Comptes de Bordeaux.

La marquise de Saint-Pern-Magon n’avait pas été heureuse en ménage. À la suite de dissentimens dus au caractère et aux prodigalités du mari, les époux s’étaient séparés à l’amiable. Le marquis vivait tantôt à Tours, tantôt à La Bryère, petit domaine qu’il possédait dans les Côtes-du-Nord. Sa femme était revenue à l’hôtel de la place Vendôme avec son fils encore enfant et avec sa fille, qui épousait en 1788 le marquis de Cornulier, jeune magistrat du Parlement de Rennes, apparenté comme les Saint-Pern à toute la noblesse bretonne.