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LA FILLE DU CIEL


AVANT-PROPOS


Pour bien comprendre la Chine, il faut savoir qu’elle porte au cœur depuis trois cents ans une plaie profonde et toujours saignante. Lorsque le pays fut conquis par les Tartares Mandchous, l’antique dynastie des Ming dut céder le trône à celle des Tsin envahisseurs ; mais la nation chinoise ne cessa ni de la regretter, ni d’attendre son retour. La révolution est donc permanente en Chine ; c’est un feu qui couve éternellement, éclate en incendie dans quelque province, puis s’éteint pour se rallumer bientôt dans une autre.

L’Empire Jaune est sans doute trop immense pour que les révoltés puissent s’entendre et, par un effort collectif, briser enfin le joug des Tartares. Plusieurs fois cependant les Chinois de race furent tout près de la victoire. Ainsi, il y a une vingtaine d’années, des événemens que l’Europe n’a jamais bien connus bouleversèrent la Chine. Les révoltés, victorieux pour un temps, proclamèrent à Nang-King un empereur de sang chinois et de la dynastie des Ming. Il s’appelait Ron-Tsin-Tsé, ce qui signifie : la Floraison définitive, et sa période fut nommée par ses fidèles Taï-Ping-Tien-Ko, ce qui signifie : l’Empire de la grande paix céleste. Il régna dix-sept années, concurremment avec l’empereur tartare de Pékin, et à peine dans l’ombre.

Plus tard, on s’efforça de supprimer même son histoire ; les livres qui la contaient furent confisqués et brûlés, et on défendit, sous peine de mort, de prononcer son nom.

Voici cependant la traduction du passage qui le concerne, dans le volumineux rapport adressé par le général tartare Tsen-Kouan-Weï à l’empereur de Pékin :

Quand les révoltés se soulevèrent dans la province de KouangTong, dit-il, ils s’étaient emparés de seize provinces et de six cents villes. Leur coupable chef et ses criminels amis étaient devenus formidables.