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Munich ; maintenant, installé comme une sorte de vigie dans la Prusse Rhénane, il luttait pour le germanisme prussien contre l’ « ultramontanisme welche. » Le groupe qu’il avait fondé sous le nom d’ « Association allemande » encerclait tous les pays rhénans dans un mystérieux réseau de surveillances : les fonctionnaires devaient marcher ou bien se démettre ; et Sybel aurait volontiers acheté le triomphe final des lois bismarckiennes par un bouleversement de toute l’administration prussienne.

Ce fut à Bonn que cette intolérante association remporta sa plus attristante victoire. Depuis vingt-quatre ans, le catholique Léopold Kaufmann était bourgmestre de la ville ; il avait contribué à en faire un centre d’art. Au début de février 1875, Kaufmann fut mandé à Cologne, au palais du gouvernement. Par ordre de Berlin, le préfet Bernuth voulut savoir, avant de confirmer sa réélection à la charge de bourgmestre, ce qu’il pensait du conflit entre l’Etat et l’Église. « Je reconnais, répondit Kaufmann, la nécessité d’une action de l’Etat pour le règlement de sa situation vis-à-vis de l’Eglise, mais je tiens les lois de Mai pour inopportunes et pernicieuses, plus encore pour l’Etat que pour l’Eglise. Comme je respecte la loi, cette opinion ne m’empêchera pas, dans ma charge, d’exécuter les lois de Mai, tant que cette obligation ne me mettra pas en conflit avec ma conscience ou avec mon honneur. » Bernuth comprenait à peu près ces propos : « Moi aussi, protestait-il, je ne suis pas un Culturkämpfer, et bien des fois j’ai déploré les lois de Mai. » Mais une tierce personne intervint ; c’était un bureaucrate nommé Guionneau. Non sans agacer le préfet, Guionneau demandait à Kaufmann si sa famille n’était pas ultramontaine : « Cela n’a rien à voir en l’affaire, » répliquait le bourgmestre, et le préfet pensait comme lui. Le pointilleux subalterne s’avisait alors d’une autre question : Si le curé de Bonn violait la loi, Kaufmann proposerait-il au gouvernement d’expulser ce curé du comité scolaire ? A quoi le bourgmestre répliqua que le curé n’avait jamais commis ce délit, mais que, si d’aventure ce fait se produisait, il ferait, lui, son devoir de bourgmestre, en agissant contre le délinquant. Mais agirez-vous volontiers ? insistait Guionneau ; et Kaufmann, cette fois, refusa de répondre.

Le dossier prit la route de Berlin, et Kaufmann s’attendait à être appelé par le ministre Eulenburg pour supplément d’informations. Kammers, bourgmestre catholique de Dusseldorf,