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avait brouillés avec lui ; et voici qu’à l’occasion d’un nouvel acte de Culturkampf, ils paraissaient revenir vers lui. Joyeusement il réveilla, dans leurs consciences luthériennes, tout ce qu’elles recelaient d’hostilité contre l’Eglise ; son projet en main, il s’afficha comme défenseur de l’évangélisme. La communauté catholique, qui n’est que « la pierre du pavé foulée par le prêtre ; » les évêques, qui ne sont que les fonctionnaires d’un pape étranger ; le Pape, ennemi de l’Evangile et, partant, de l’Etat prussien ; les Jésuites, docteurs du tyrannicide ; le Code papal, qui veut la mort de l’hérétique ; le Syllabus, dont l’application serait incompatible avec le fonctionnement même de la Chambre des Seigneurs, furent tour à tour dénoncés et bafoués par le chancelier. Ce n’était plus un homme d’Etat qui parlait : c’était un polémiste de la Réforme. « La conséquence logique de votre politique, déclarait Brühl, serait d’expulser ou de fusiller les catholiques. » Mais les plaisanteries de Bismarck, volontairement grosses, continuaient de tomber droit et dru ; elles visaient, après les catholiques, ceux qu’il appelait les crypto-catholiques ; et spécialement son oncle Kleist-Retzow, soupçonné de sympathie pour le catholicisme, pour ce catholicisme dont Bismarck dessinait à plaisir une interminable caricature « Si je suivais le Pape, s’écriait-il, je ne ferais pas mon salut. »

Deux ans plus tôt, dans cette même Chambre, Bismarck avait soutenu que la Prusse engageait une lutte purement politique, et qu’aucun motif confessionnel ne la guidait ; il semblait aujourd’hui sonner une fanfare de ralliement pour tous les protestans de la Chambre et du Royaume. On eût dit que Luther se dressait, que dans les conservateurs de la vieille Prusse, il reconnaissait et retrouvait ses enfans : on allait, pour la Réforme, donner le coup de sape contre l’Eglise… La loi triompha, naturellement, et cette accession de quelques conservateurs à la majorité bismarckienne fut peut-être interprétée, par les observateurs superficiels, comme l’indice que les partisans du Culturkampf croissaient en nombre et que l’esprit de Culturkampf croissait en force. L’indice, bientôt, devait se révéler trompeur : tout ce qui contribuait à rapprocher Bismarck des conservateurs tendait à relâcher ses liens avec le parti national-libéral, c’est-à-dire avec les dépositaires authentiques et les apôtres impérieux de l’esprit de Culturkampf. La démarche de Maltzahn et les sourires de Bismarck laissaient prévoir une