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recevant à Venise, le 2 avril, la visite de François-Joseph, se mît d’accord avec lui pour refuser de s’associer à la campagne nouvelle par laquelle Bismarck essayait d’atteindre, à Rome même, la liberté spirituelle du Saint-Siège. Le Culturkampf international s’était ouvert, dix-huit mois plus tôt, par le voyage qu’avait fait Victor-Emmanuel à Vienne, sous les auspices de Bismarck, et que l’Europe entière avait interprété comme un avertissement pour le Pape ; et voici qu’entre les deux mêmes souverains une entrevue se déroulait, que l’Europe entière interprétait comme un avertissement pour Bismarck. Les influences bismarckiennes furent assez puissantes pour amener un député de la gauche, Miceli, à questionner Minghetti sur l’anxiété à laquelle avait donné lieu la démarche allemande. « La faute en est à la loi des garanties, » déclarait Miceli. Évasivement, Minghetti répondit que jamais, entre l’Allemagne et l’Italie, les relations n’avaient été meilleures : les alliés qu’avait Bismarck dans l’extrême gauche italienne n’insistèrent point. Bismarck, suivant l’expression d’Arnim, avait adressé « sa recette contre l’Église à chacun en son logis et même à ceux qui ne se sentaient point malades : » et cette recette, — la Revalescière de Varzin, comme disait encore Arnim, — avait été repoussée par la France en 1874, par la Belgique, l’Italie, l’Autriche, au printemps de 1875.

Il restait à l’offrir à l’Angleterre : le comte Munster s’en chargea. Dans un toast retentissant qu’il portait, en mai 1875, devant le National Club de Londres, il présentait le Culturkampf comme un combat de l’Etat pour la conscience et pour la liberté ; il parlait de Canossa, de la guerre de Trente ans ; non sans crânerie, il qualifiait le nouvel Empire d’ « Empire protestant détesté des hommes noirs ; » il prévenait l’Angleterre que toutes les lois nécessaires seraient faites pour mettre la liberté des consciences à l’abri du danger, et puis il la conjurait d’avoir elle-même l’œil ouvert, d’observer ce qui se passait en Irlande, de prévoir, de préparer… C’était la première fois peut-être que dans le pays du self help, un ambassadeur étranger se dressait pour signaler aux Anglais un péril intérieur, et pour leur laisser deviner qu’en le combattant, ils seraient agréables à son maître. La presse bismarckienne applaudissait Munster, Mais tandis qu’en Belgique, en France, en Italie, retentissaient dans les assemblées politiques elles-mêmes certains échos des