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pistolet qu’il s’est épargné à lui-même, il y a quelques heures ? Irène va-t-elle se sauver avec son amant ? Ou va-t-elle accompagner dans sa retraite le financier en fuite ? L’auteur peut choisir entre ces diverses solutions celle qui lui fera le plus de plaisir, ou le plus de peur. Elles nous sont à nous tout à fait indifférentes. Peu nous importe ce qui adviendra de ces personnages dont aucun ne nous intéresse. Nous n’avons qu’un désir, c’est que l’énervant débat ne se prolonge pas. Nous n’avons qu’un avis, celui qu’exprime James avec un à-propos que le public a souligné : « Il faut en finir. » Avoir choisi une situation si baroque, et pour n’en rien tirer qui provoquât l’émotion du spectateur, c’est une duperie, et c’est la formule de cet art.

J’ai essayé de montrer combien ce théâtre dont le principe consiste à combiner les élémens d’une situation mélodramatique et agencer un jeu de circonstances extraordinaires, est dépourvu d’humanité. Aucune psychologie. Des bonshommes à peine dessinés d’un trait sommaire. Il me faut pourtant dire quelques mots de l’atmosphère morale qu’on respire dans cette pièce. La vieille Mme Aloy qui ne dit rien, et la jeune Henriette qui reste à la cantonade sont les deux seuls personnages qui échappent à l’universelle abjection. Les autres sont, chacun, à sa manière, pareillement méprisables. Bourgade qui dans sa débâcle, ne trouve qu’un reproche à se faire, celui de n’avoir pas réussi, et qui finalement se sauve et se cache pour échapper à la prison, est un pleutre sinistre. Irène, la femme mûre, qui s’offre les caresses d’un jeune homme et regrette seulement de n’avoir pas commencé plus tôt ; James, qui, sous le toit de celui qu’il croit son bienfaiteur, séduit la femme de celui-ci, tous ces gens se valent. Notez qu’ils ont tous fait jusqu’ici figure d’honnêtes gens. Mais fiez-vous donc aux honnêtes gens ! Rien d’ailleurs n’excuse ou ne relève ici leurs défaillances. On n’aperçoit pas chez Bourgade cet esprit d’aventure et ce goût du risque qui prêtent à certains désastres de joueurs, restés beaux joueurs, une sorte de grandeur. Le sentiment n’a aucune part à l’attrait qui porte l’un vers l’autre Irène et James et qui se résout dans l’échange de deux fantaisies et le contact de deux épidémies. Bien dans tout cela que l’appât de l’argent, la séduction de la chair, les deux mobiles les plus bas auxquels l’humanité puisse céder. Nous sommes fort loin de ces spectacles qui, suivant le mot de La Bruyère, élèvent l’esprit.

Les artistes de la Comédie-Française avaient une tâche difficile. Ils s’en sont tirés tant bien que mal. M. Le Bargy était chargé du rôle écrasant de Bourgade. Ce n’est pas sa faute si ce rôle est dur, sans