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Honnête femme, incapable de faillir, elle ne connaît que son devoir… Soudain elle tombe dans les bras du jeune homme. C’est brusque, inattendu, inexpliqué, comme tout sera brusque, inattendu, inexpliqué dans cette pièce où la malice semble être de dérouter le spectateur et de l’égarer pour ensuite tomber sur lui à l’improviste et le prendre à la gorge. C’est l’art des préparations remplacé par le théâtre guet-apens.

Un premier acte doit être un acte d’exposition et contenir tous les élémens d’où le drame par la suite va se dégager. Nous devons supposer qu’il se jouera entre les personnages qui nous ont été présentés et tels qu’ils nous ont été présentés, que les développemens découleront de la situation initiale telle qu’elle a été posée. Qu’avons-nous vu jusqu’ici ? Un honnête vieillard indignement outragé par un méchant gamin. Cet ingrat de James apporte le déshonneur et la désolation dans l’intérieur du pauvre homme. Évidemment, la pièce est là. Comment sera-t-elle conduite, et quels incidens imaginera l’auteur ? Quel rôle donnera-t-il à Henriette, la fiancée trahie ? Quel rôle à Mme Aloy, la mère, qui va sans doute se tenir pour en partie responsable de l’ingratitude de son fils ? Nous n’en préjugeons rien ; mais ce dont nous ne pouvons douter, c’est que le sujet même de la pièce ne soit la souffrance d’un homme de devoir et d’honneur trahi par deux misérables… Or en suivant cette piste, sur laquelle nous a engagés l’auteur, nous tournons le dos aux événemens qui vont se dérouler au second acte. Un élément nouveau de l’action va nous y être découvert, qui sera l’élément essentiel, et que rien ne pouvait nous faire soupçonner.

Car Après moi est le drame du spéculateur. Cet honnête homme de M. Bourgade est un escroc. Tel est le changement à vue auquel nous assistons dès les premières minutes du second acte. Cette stupéfiante nouvelle nous est apportée par M. Bourgade lui-même, dans la conversation qu’il a voulu avoir tout de suite avec Mme Aloy, conversation d’affaires, qui se poursuit dans le salon du premier étage pendant que se continue dans le hall du rez-de-chaussée la conversation amoureuse d’Irène et de James. Bourgade a spéculé sur les huiles. En quoi consiste l’opération, on nous l’explique longuement, minutieusement ; mais je craindrais de me noyer dans tous ces chiffres et dans toute cette huile. Ce qui est certain, c’est qu’il a joué avec les fonds qui lui étaient confiés, et englouti dans cette désastreuse affaire toute la fortune de Mme Aloy et de James. Il a tout perdu jusqu’au dernier sou. Il les a ruinés jusqu’au dernier centime. Et voilà bien pourquoi il