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soupçon ne l’a effleuré. Dans la lutte quotidienne, il a pris l’habitude de la décision prompte, du commandement sans réplique. Nous le devinons à son geste, au son de sa voix, autoritaire, impérieux. Cette rudesse est celle du bourru bienfaisant. Bienfaiteur, il l’est de ces Aloy avec lesquels nous l’entendons causer. M. Aloy était son ami ; il est mort laissant des affaires embarrassées ; M. Bourgade les a prises en mains, rétablies, amplifiées ; il est venu au secours de la veuve et de l’orphelin, de la façon la plus noble, la plus désintéressée. Mme Aloy, qui est maintenant une dame à cheveux gris, James, qui est un grand gaillard d’une trentaine d’années, ont pour lui une reconnaissance et un respect sans bornes. Cela permet à M. Bourgade d’élever la voix, de parler, sinon en maître, du moins en chef de famille. Et nous nous apercevons en effet qu’il y a de l’irritation, je ne sais quoi de fébrile dans le ton dont il s’adresse à James.

Il somme celui-ci de se décider sur-le-champ à épouser Henriette Fleurion. Henriette est une jeune fille charmante, cela va sans dire, et en outre très riche, qui habite en ce moment dans la villa. Il n’y aurait qu’un étage à monter pour lui porter la bonne nouvelle qu’elle souhaite et qu’elle attend. Bourgade voudrait que James montât cet étage. Pourquoi ces hésitations et ces retards ? Il y a des mois et des mois déjà que le jeune homme a été fiancé à Henriette. Brusquement il est parti, prétextant la nécessité d’un voyage, prolongeant au-delà de toutes limites la durée de ce voyage. Et maintenant qu’il est de retour, il s’obstine à une attitude bizarre, incompréhensible. Qu’il s’exécute enfin ou qu’il s’explique ! Avec autant de violence que Bourgade ordonne, James refuse. C’est le diapason, adopté une fois pour toutes, par les personnages de M. Bernstein. Ici personne ne parle, et tout le monde crie. James ne veut pas se marier et il ne veut pas s’expliquer. Il exige qu’on le laisse tranquille et finalement quitte la partie. Sur le cas de James, nous n’avons aucun doute, aucune incertitude. Pour que ce garçon refuse catégoriquement, avec tant d’obstination et tant d’âpreté, la main d’une jeune fille si charmante et si riche, il y a une raison, et il ne peut y en avoir qu’une : il aime ailleurs. Cela crève les yeux. Nous nous étonnons seulement qu’une mère et un intime ami de la famille puissent s’y tromper. Comment se peut-il que ni l’une ni l’autre ne connaisse ou ne soupçonne le secret de James ? Ce secret, nous le pénétrerons, avant qu’il soit longtemps ; nous sommes là-dessus bien tranquilles. Nous attendrons sans fièvre. Mais pourquoi M. Bourgade tient-il si fort à la conclusion immédiate d’un mariage avec Henriette ? Cela reste