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la fenêtre toute grande, l’air et le soleil pénètrent à flots dans la chambre.

Le courrier arrive ; il lit quelques lettres, de bons souhaits, toujours les mêmes, me dit-il. Puis les matelots arrivent et Monsieur descend pour les recevoir. J’entends ces hommes prononcer les formules banales qu’on répète chaque année. Mais ici au moins, s’il y a redite, les souhaits de ces braves gens avaient un accent d’inimitable sincérité, on sentait qu’ils s’adressaient à l’homme, au bon maître, qu’ils aimaient, sans arrière-pensée d’intérêt. Je vins à mon tour serrer la main à mes compagnons de terre et de mer.

Il est dix heures, Monsieur me demande si je suis prêt à partir, « car, ajoute-t-il, si nous n’y allons pas, ma mère va croire que je suis malade. » Nous prenons le train. Pendant le parcours, M. de Maupassant regarde la mer par la fenêtre ; elle-est belle et bleue sous un ciel très pur, avec un bon vent d’Est. Il me fait remarquer que ce temps ensoleillé serait admirable pour tirer une bordée. Puis, tout au spectacle, il me demande de parcourir les journaux et de lui dire si je vois quelque chose qui puisse l’intéresser.


Une fois chez Madame, je fais et je sers le déjeuner ; mon maître a paru manger de bon appétit. Il y avait à table sa mère, sa belle-sœur, sa nièce et sa tante, Mme d’Harnois, qu’il aimait beaucoup. Il lui est arrivé plus d’une fois, quand son cœur était trop plein, d’aller le vider près d’elle ; elle avait des dons naturels et particuliers pour compatir à ses peines et le soulager.

A quatre heures, la voiture vient nous prendre ; en allant à la gare, nous achetons une grande caisse de raisin blanc pour continuer la cure habituelle. Au chalet, M. de Maupassant change de vêtemens, met une chemise de soie pour être plus à l’aise, puis il dîne, comme à l’ordinaire, d’une aile de poulet, de chicorée à la crème et d’un soufflé crème de riz vanillé, le tout arrosé d’un verre et demi d’eau minérale. Jusqu’à près de dix heures, il marche d’un bout à l’autre du salon et de la salle à manger ; de temps à autre, il pousse jusqu’à la cuisine, dont la porte de communication est restée ouverte. Il nous jette à peine une parole, à Raymond et à moi.

Quand je lui montai une tasse de camomille dans sa chambre,