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Le jour de Noël, je vais à bord avec mon maître, pour faire une sortie, mais le vent est tombé ; puis c’est fête pour les matelots. Quand je reviens à la maison, il est déjà rentré, et il me demande s’il n’est pas trop tard pour que je lui prépare un bain. Je me hâte, le bain est bientôt prêt. Il dîne très bien après ce bain.

Le soir, Bernard accompagne Raymond qui venait coucher au chalet. Mon maître les entend et vient leur dire bonsoir à la cuisine. On en arrive à parler fête et religion. M. de Maupassant nous dit alors que la première nouvelle qu’il écrirait serait le Moine de Fécamp et, en quelques mots, il nous expose son sujet. Il avait vu dans un grenier de Fécamp un moine qui vivait retiré depuis des années. « Par la femme qui lui portait sa nourriture, j’ai su, dit-il, bien des choses curieuses. Ce moine, je l’ai vu à deux reprises ; je suis sûr qu’il est loin de se douter comme je vais l’assaisonner. Je veux le présenter sous des formes inattendues, et l’Ermite de l’Estérel ne comptera plus après ce type fameux. »

Et nous tous de rire avec lui de ces êtres étranges qui se toquent de solitude et quittent les sentiers battus pour se jeter au désert comme les saints de la Thébaïde. « Vous vous rappelez, me dit à ce sujet M. de Maupassant, les cérémonies nocturnes de nos voisins à Divonne ; en voilà encore qui m’ont servi des documens qui ne seront pas perdus. »


Le 26, dans le courant de l’après-midi, mon maître me dit qu’il va faire une promenade sur la route de Grasse. Dix minutes plus tard, il était de retour ; j’étais occupé à ma toilette. Il m’appelait très fort, voulait me voilà toute force et tout de suite, pour me dire ce qu’il avait vu sur la route du cimetière. Une ombre, un fantôme ! En tout cas, il avait été victime d’une hallucination quelconque. Je compris qu’il avait eu peur, mais il ne voulut pas l’avouer.

Le 27, en déjeunant, il tousse un peu ; il me dit très sérieusement que sûrement une partie du filet de sole qu’il vient de manger est passée dans ses poumons et qu’il peut en mourir. Ma courte science ne me permet pas de prendre au sérieux cette affirmation. Je me borne à lui conseiller de boire du thé très chaud. Le résultat fut bon ; une heure après, il descendait le