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Le jour qu’il m’apparut, pourtant de ce ravage
L’antique monument encor s’ennoblissait,
Paraissant accepter comme un linceul sauvage
La végétation qui l’ensevelissait.

Il s’était couronné d’une herbe échevelée,
Et de pampres grimpeurs chaque fût s’entourait.
Déjà la colonnade était presque une allée,
Et la ruine allait rejoindre la forêt.

Il doit périr ainsi. La nature féconde,
Sa mère, veut cacher les restes superflus
De ce culte donné jadis par elle au monde,
Et qu’il abandonna, ne le comprenant plus.

Pieuse, et protégeant le repos des vieux marbres,
Elle prodigue l’herbe et les épais fourrés,
Et, pour ce saint devoir, elle ordonne à ses arbres
D’incliner leurs rameaux sur ces débris sacrés.

Pour les poètes seuls, gardiens de son grand culte,
Elle a voulu, jalouse, ainsi les conserver.
Ta curiosité lui serait une insulte,
Profane voyageur qui ne sais plus rêver !

Elle est fière ; elle voile à tes regards indignes,
Homme de notre temps, ces antiques débris,
Et sous ses frondaisons, ses lianes, ses vignes,
Elle veut les soustraire à tes hautains mépris.

Car tu la méconnais ; car tu n’as plus d’hommage
Pour l’éternel travail de son sein généreux.
Tu hais même tes dieux créés à ton image,
Et tu vas, satisfait d’un scepticisme creux.

De la divinité tu veux d’autres exemples
Que tout cet univers splendide que tu vois ;
Il ne te suffit plus pour ériger des temples
D’un son lointain de flûte entendu dans les bois.