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Pour ces raisons et d’autres encore, les Japonais se préparaient donc à une révolution, mais, tandis que les réformistes de l’Occident, inspirés de la Grèce et de Rome, s’éprenaient de la république, les réformistes japonais réclamaient et jusque dans les supplices (car combien ne périrent pas sur les échafauds du shogun ! ) le rétablissement du mikado dans ses droits souverains. Leurs doctrines tiraient à la fois leur force du rationalisme et du romantisme. Au XVIIe siècle et dans la première moitié du XVIIIe, la monarchie absolue, les manières de cour, les loisirs que laissait la paix, le développement des études classiques avaient produit au Japon comme en Europe une philosophie rationaliste, ennemie de la passion et dédaigneuse des faits, qui, devenue bientôt nettement antireligieuse, réussit à ruiner l’influence du bouddhisme dans les classes élevées et à l’affaiblir beaucoup dans le peuple. Or la philosophie rationaliste des Chinois, dont le Japon s’inspirait, admet comme le principe de toutes choses le Ciel impersonnel, qui dans le dernier état de cette philosophie a été identifié avec la vertu ; celle-ci se confond d’ailleurs avec la raison, car pour l’homme réputé naturellement bon, connaître le bien, n’est-ce pas le pratiquer ? Mais les Chinois tiennent l’empereur pour le fils et le représentant du ciel chargé d’établir sur la terre le règne de la raison et de la vertu comme aussi le règne de l’égalité, puisqu’il est le père et la mère de ses sujets, qui sont tous au même titre ses enfans. C’est pourquoi les démocrates japonais souhaitaient la restauration de la monarchie impériale, qui était d’ailleurs l’ennemie naturelle de la féodalité. Vers le milieu du XVIIIe siècle, commença au Japon comme en Europe une violente réaction romantique contre le rationalisme prépondérant. Les traits distinctifs du romantisme japonais furent la haine de tout ce que le rationalisme avait emprunté aux Chinois, principalement de leur sécheresse de cœur, de leur positivisme et de leur esprit classique ; l’amour du Japon fortifié par trois siècles d’isolement et devenu tel que dans le débordement de passion, d’imagination qui prévalaient on rêva de restaurer le Japon du Ve siècle ignorant encore de la civilisation continentale. Or tout ce qui subsistait de cet ancien Japon se trouvait dans la religion shintoïste, que le bouddhisme avait tolérée et en partie absorbée ; cette religion consiste surtout dans le culte des ancêtres familiaux adorés comme les dieux du foyer et dans le culte des