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encore n’est-ce vrai que si l’on compare les pays les plus arriérés de l’Asie avec les pays les plus avancés de l’Europe, car le Japon est plus développé que certains pays de l’Europe méridionale et de l’Europe orientale. Dans un demi-siècle ou même plus tôt, les progrès qu’a faits le Japon, tous les peuples de l’Asie les auront faits, or l’Asie compte près de 900 millions d’habitans, alors que la population du monde était de 1 500 millions au début du XXe siècle.

Cette question capitale de la rénovation de l’Asie, nous ne pouvons encore la bien étudier qu’au Japon ; c’est son exemple qui l’a, sinon provoquée, au moins précipitée, et le Japon est le seul pays qui ait pu sortir du chaos, se donner des institutions durables et fixer un but précis à ses aspirations nationales.

Les grandes lignes de l’histoire intérieure du Japon rappellent les grandes lignes de notre histoire. Civilisées au VIe siècle de notre ère sous l’influence de la Chine, les tribus demi-barbares de l’Archipel s’unirent pour former sous un empereur, le mikado, une monarchie centralisée imitée de la monarchie chinoise, comme les Francs formèrent la monarchie mérovingienne, puis la monarchie carolingienne sur le modèle de l’empire romain. La tentative était prématurée : au Japon comme en France, le XIe et le XIIe siècle virent l’établissement de la féodalité, qui présente cependant au Japon deux caractères particuliers, dont l’influence s’est encore fait sentir lors de sa récente transformation : les vassaux et soldats d’une principauté féodale formaient un clan, dont le seigneur était moins le souverain que le chef ; les seigneurs, vassaux et soldats de toutes les principautés féodales formaient la caste militaire, qui depuis le XIIe siècle jusqu’en 1868 eut le droit exclusif de gouverner le pays en y exerçant avec les fonctions proprement militaires toutes les fonctions administratives et judiciaires. Au Japon de plus, comme en France, le chef de la féodalité, vainqueur du souverain légitime, devint aussi le chef de ce qui subsistait de l’ancien gouvernement centralisé. De même que la France a été gouvernée successivement par trois branches des Capétiens et que le gouvernement de chacune de ces branches marque une période distincte de son histoire, le Japon a obéi à trois dynasties de chefs féodaux, de shoguns, issues des Minamoto : Minamoto propres, Ashikaga, Tokugawa ; les premiers ont lutté comme les Capétiens propres contre la féodalité du moyen