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fois, je sais ou crois savoir tout ce qu’on peut dire de ou plutôt contre notre régime actuel, et, au besoin, je le redirais moi-même ; et d’autre part, je me sens dépourvu de tout mysticisme politique. Je sais aussi que tout peut arriver, en France surtout, et s’il m’était prouvé que la royauté héréditaire dût faire, je ne dis pas le salut, — la France n’a pas besoin d’être « sauvée, » — mais le bonheur du pays, j’en accueillerais le retour avec une joie profonde. Mais je sais également qu’il est aussi facile de médire du présent que de construire sur le papier, qui souffre tout, et dans l’avenir, — ou même dans le passé, — d’adorables idylles. La République elle-même était « bien belle sous l’Empire, » et la royauté de Louis XV n’est peut-être pas l’idéal d’un gouvernement moderne. Pour qu’une monarchie fût possible en France, il faudrait un esprit monarchique : or l’esprit monarchique, — je ne dis pas les mœurs monarchiques, — me paraît bien avoir presque entièrement disparu de chez nous. Renaîtra-t-il ? On ne sait. A trois reprises, en 1789, en 1830, en 1848, la monarchie n’a pas su faire au pays l’économie d’une révolution : ces choses-là se paient, et les occasions perdues en histoire ne se retrouvent guère… Et puis, et enfin, quand on y songe, combien toutes ces questions de métaphysique politique sont oiseuses à côté de la question, bien autrement grave, et dont on ne parle guère, de la dépopulation en France ! Qu’importe le maître de demain, s’il doit régner sur un désert d’hommes ! Il ne s’agit pas de savoir par qui, — tribun, Roi ou Empereur, — la France doit être gouvernée, mais si la France veut continuer à être. To be or not to be. Et cela, ce n’est pas une question dynastique ou politique ; c’est une question sociale ; c’est plutôt encore une question morale ; c’est surtout une question religieuse…

Sur la question religieuse proprement dite, M. Bourget a, dans ces dernières années, émis des vues bien intéressantes, quelques-unes discutables, mais qui, toutes, donnent à sa philosophie nouvelle ce couronnement, cette clef de voûte sans laquelle il n’y a pas de doctrine cohérente et vraiment complète. Il a été amené, a-t-il déclaré souvent, par ses observations de psychologie individuelle et sociale, à conclure non pas seulement en faveur du christianisme, mais du catholicisme. L’observation positive, méthodique, « scientifique, » conduit-elle nécessairement là ? Je voudrais en être sûr. Je ne vois pas qu’elle y ait conduit ni Flaubert, ni même Taine, et combien