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du reste n’est pas à cet égard le seul maître de M. Bourget, — l’auteur de l’Étape, on le sait, est devenu, depuis une dizaine d’années surtout, un juge sans indulgence des tendances politiques et sociales qui triomphent chez nous depuis un siècle, et, plus particulièrement, depuis quarante ans[1] ; il est « antidémocrate » et royaliste avec délices ; il mène avec ardeur le combat pour la « contre-Révolution ; » il ne néglige aucune occasion de rompre des lances en faveur de ses doctrines favorites, de ce « traditionalisme par positivisme, » dont il est à la fois le théoricien et l’apôtre. « La France est née, dira-t-il, elle a vécu catholique et monarchique. Sa croissance et sa prospérité ont été en raison directe du degré où elle s’est rattachée à son Église et à son roi. Toutes les fois qu’au contraire ses énergies se sont exercées à l’encontre de ces deux idées directrices [c’est M. Bourget qui souligne], l’organisation nationale a été profondément, dangereusement troublée. D’où cette impérieuse conclusion, que la France ne peut cesser d’être catholique et monarchique, sans cesser d’être la France, — de même qu’un foie ne peut cesser de produire de la bile sans cesser d’être un foie[2]… »

Je ne suis pas très grand clerc en ces sortes de questions, et j’admire, j’envie peut-être ceux qui les tranchent avec une robuste et tranquille assurance. Mais sans nier, certes, le très grand talent, la généreuse et patriotique éloquence, l’âpre vigueur logique avec laquelle M. Bourget défend sa cause, j’avoue qu’il a quelque peine à me convaincre. D’abord, je n’aime guère, pour toute sorte de raisons, que l’on solidarise trop étroitement « le Trône » et « l’Autel, » — ce fut l’une des erreurs de ce grand esprit de Bonald, — et après Léon XIII, celui que M. Bourget appelle « Pie X le saint et le grand » a, comme on sait, toujours protesté contre une confusion de ce genre. En second lieu, quand je rencontre dans l’auteur du

  1. Ce n’est pas tout à fait d’aujourd’hui que M. Bourget s’est montré sévère pour notre régime politique, on peut le voir par la préface du Disciple. Il s’y plaignait, au nom de sa génération, du « peu qu’ont fait pour elle les hommes au pouvoir. » « Elle a vu, ajoutait-il, des maîtres d’un jour proscrire au nom de la liberté ses plus chères croyances, des politiciens de hasard jouer du suffrage universel comme d’un instrument de règne, et installer leur médiocrité menteuse dans les plus hautes places. Elle l’a subi, ce suffrage universel, la plus monstrueuse et la plus inique des tyrannies, car la force du nombre est la plus brutale des forces, n’ayant pas même pour elle l’audace et le talent. » (Éd. originale, p. IV-V.)
  2. Préface des Lettres sur l’Histoire de France de l’abbé de Pascal.