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sinon dans son fond primitif, tout au moins dans ses conclusions. Le grand mérite et le haut intérêt de l’œuvre de M. Bourget est de traduire avec une fidélité, une sincérité, et j’oserai dire une naïveté singulières, les vicissitudes de sa pensée. Veut-on voir, et comme toucher du doigt, sur un article essentiel, le point de départ et le point d’arrivée de cette pensée ? Qu’on relise parallèlement, dans l’édition originale et dans l’édition définitive des Essais de psychologie contemporaine, l’étude sur Ernest Renan. En 1883, M. Bourget parle « des phrases singulières où le savant philologue professe une admiration à demi jalouse pour ceux qui ont pris le monde comme un rêve amusé d’une heure. » — « Une admiration un peu niaise, » écrira-t-il en 1899. — « Que M. Renan, disait-il en 1883, ait été correct ou non dans le maniement de cette méthode, la question pour nous n’est point là. Il est certain qu’il l’a pratiquée de bonne foi. » Et en 1899 : « Telle est la méthode qu’en effet M. Renan s’est efforcé de pratiquer après Strauss et tant d’autres. A-t-il été correct ou non dans le maniement de cette méthode ? A-t-il obtenu les résultats qu’il en attendait ? Il est bien certain aujourd’hui que non, mais il est certain aussi qu’il l’a pratiquée de bonne foi… » — En 1883, à propos du style de Renan : « Les formules d’atténuation abondent, attestant un souci méticuleux de la nuance. » — « Attestant, avec une certaine incapacité d’affirmer…, » corrige l’écrivain de 1899. — Et enfin, après avoir esquissé ce que pourrait être l’avenir religieux de l’humanité affranchie de toute croyance métaphysique, il écrivait en 1883 :


Nous avons dès aujourd’hui, en M. Renan, un exemplaire achevé des dispositions religieuses qui rallieraient les vagues croyans de cet âge cruel ; et qui donc oserait affirmer que l’acte de foi sans formule auquel aboutit dès à présent l’optimisme désabusé de cet historien de notre religion mourante n’exprime pas l’essence de ce qui doit demeurer d’immortellement pieux, dans ce magnifique et misérable temple du cœur humain ?


En 1899, l’auteur des Essais récrit ainsi ce passage :


Nous avons, semble-t-il, dès aujourd’hui, en M. Renan, un exemplaire achevé des dispositions religieuses qui rallieraient les vagues croyans de cet âge sans Dieu que nous venons d’imaginer ; et l’acte de foi sans formule auquel aboutit dès à présent cet historien, pieux malgré lui, d’une religion qu’il déclare mourante, deviendrait un germe de renouveau. Il en sortirait toute une moisson d’espérances nouvelles, car cet acte de foi exprime l’essence de ce qui doit demeurer d’immortellement croyant, irréductible à