Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/109

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui-même la forme proprement théâtrale, et qui ne demandait qu’à être libéré de toute entrave et à être développé pour lui-même[1]. Ce serait bien mal connaître M. Bourget que de penser qu’il n’en avait pas conscience. Et puis, parmi toutes les séductions que peut offrir le théâtre à un écrivain d’aujourd’hui, comment ne pas faire entrer en ligne de compte la tentation, qui devait être si forte, pour le philosophe et l’homme d’action qu’est devenu l’auteur de l’Étape, de porter sur la scène et donc de soumettre directement au grand public et de lui imposer presque ses préoccupations, ses idées nouvelles, et d’en recueillir immédiatement l’écho ? Que M. Bourget ait cédé à des considérations de cet ordre, ou à d’autres, le fait est que, depuis trois ans, il est devenu dramaturge, et dramaturge à succès ; et chacun sait qu’il va persévérer.

Quatre pièces, Un Divorce (1908), l’Émigré (1909), la Barricade, Un cas de conscience (1910), — en attendant le très prochain Tribun, — composent actuellement le bagage dramatique de M. Bourget. Il est assez difficile d’apprécier avec toute la précision souhaitable son effort personnel dans cette voie. Non pas que son œuvre théâtrale soit encore insuffisamment abondante, ou insuffisamment caractéristique. Mais deux de ces pièces sur quatre ont été écrites en collaboration, et quoiqu’elles aient été tirées d’un roman et d’une nouvelle de M. Bourget, l’apport propre de ce dernier nous échappe un peu. La troisième a été tirée par l’auteur lui-même de son roman de l’Émigré : il n’y a que la Barricade qui ait été écrite tout entière par M. Bourget et directement pour la scène. « C’est vraiment ma première pièce, déclarait-il lui-même, puisque c’est la seule qui ne soit pas tirée d’un roman[2]. » Quelque mérite littéraire, historique ou social, et dramatique qu’offre cette « chronique de 1910, » il est malaisé, sur cette œuvre, presque unique, de discerner très nettement l’originalité réelle « d’un débutant, » comme l’auteur de la Barricade s’intitule trop modestement

  1. C’est ce dont s’étaient déjà avisés deux dramaturges contemporains, MM. Léopold Lacour et Pierre Decourcelle qui, le 18 avril 1889, ont fait représenter au Vaudeville Mensonges, « comédie tirée du roman de M. Paul Bourget. » (Paris, Lemerre, 1890, in-18.)
  2. La Barricade, Préface, p. XIII. Dans cette Préface, M. Bourget donne de fort curieux détails sur la manière dont il a été amené à écrire sa pièce, et sur les matériaux dont il s’est servi. Je crois bien qu’il nous livre là le secret de sa méthode de travail et de la façon dont il se « documente » pour écrire non seulement ses pièces, mais, si je ne me trompe, ses romans et ses nouvelles aussi.