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France, elles n’entendent parler que de paix. Alors, après la phase de protestation qui a été héroïque, après la phase de résignation qui a été douloureuse, n’est-il pas naturel qu’elles cherchent à améliorer les destinées auxquelles elles se sentent condamnées ? Elles restent fidèles __ à la culture française, elles gardent au fond du cœur le souvenir ému de la patrie d’autrefois, elles se livrent même à des manifestations touchantes qui réveillent les colères du vainqueur ; mais il faut bien vivre dans les conditions où le sort vous a placé, et tout ce que demandent aujourd’hui l’Alsace et la Lorraine, c’est de vivre avec leur personnalité propre, au moyen d’institutions qui leur permettent de la conserver et de la développer.

Qu’est-ce que l’Empire, en somme, sinon une agrégation de pays divers qui, sous l’hégémonie de la Prusse, ont conservé leurs caractères originaux, leur organisation propre, leur particularisme spécial ? Il a fallu sans doute sacrifier un peu de tout cela au profit de l’Empire, mais il en reste assez pour assurer la survivance ici d’un royaume, là d’un grand-duché, ailleurs même d’une petite république. L’Alsace-Lorraine demande pourquoi elle ne trouverait pas sa place dans cet organisme complexe et varié. Elle voudrait être un État comme les autres, ayant les mêmes droits qu’eux, tout en conservant ce qui l’en distingue. Son idéal serait d’être une république dans l’Empire, car elle est profondément démocratique et l’histoire ne l’a attachée à aucune dynastie. Elle se contenterait, au besoin, d’un statthalter nommé à vie. Elle voudrait enfin être représentée au Conseil fédéral et y disposer d’un certain nombre de voix. N’est-ce pas le cas des autres États ? Les Alsaciens-Lorrains revendiquent l’égalité. Mais ici apparaît le désaccord entre l’Allemagne et eux. Le gouvernement impérial a élaboré et le Conseil fédéral a approuvé un projet de constitution qui leur donne quelques-uns des droits qu’ils demandent, mais leur refuse l’assimilation à laquelle ils aspirent. L’Alsace-Lorraine resterait un pays d’Empire : elle continuerait d’être un pays conquis appartenant à tous les États confédéraux, et qui ne saurait dès lors être placé à leur niveau. Et il en sera ainsi jusqu’au jour, très lointain, où on la jugera mûre pour d’autres destinées. On ne condamne pas son particularisme ; au contraire, on déclare compter sur lui pour la détacher peu à peu de la France ; il paraît que Bismarck autrefois, dans sa vue profonde de l’avenir, a exprimé l’espoir que le particularisme alsacien-lorrain évoluerait dans ce sens ; il l’a considéré comme une force à ménager et à utiliser, Lorsque le particularisme alsacien-lorrain sera vidé de tout souvenir