Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/949

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la Fiancée de Messine n’est pourtant pas une pièce pour orgue de Barbarie ! « Je te salue avec respect ! » Recommencez tout le morceau, messieurs, s’il vous plaît ! « Je te salue avec respect, salle somptueuse ! » Voilà comment il faut dire, messieurs ! « Dans son fourreau. » Un point ! Non, je me trompe : « Le princier berceau ! » Il y a un point, messieurs ! Ignorez-vous donc ce que signifie un point ? N’avez-vous donc aucune notion de votre rudiment ? Au fait, veuillez continuer la phrase suivante !

LE DOCTEUR KEGEL ET KAFERSTEIN. — « Dans le fourreau — repose l’épée, — Car de l’hospitalière maison — le seuil intangible — est gardé par le serment, fils des Erinnyes… »

HASSENREUTER (qui s’est levé en sursaut, et court de long en large, tout en criant). — Halte ! Vous ignorez donc aussi ce que c’est qu’un serment, Kaferstein ? « Est gardé parle serment, fils des Erinnyes. » C’est le serment qui est le fils des Erinnyes, Kegel, comprenez-vous ? Il faut que votre voix frémisse, il faut que l’auditoire ait la chair de poule, jusqu’à la plus somnolente des ouvreuses ! Tout de même, vous n’êtes pas sans comprendre, j’imagine, qu’un serment et une chope de bière de Munich sont deux choses différentes ? A votre tour, Spitta !

SPITTA (récitant). — « Mon cœur se soulève de colère dans mon sein… »

HASSENREUTER. — Un moment ! (Il court vers Spitta, et lui plie les jambes et les bras, afin de lui donner une pose tragique.) L’attitude sculpturale, en premier lieu, vous fait défaut, mon cher Spitta ! Le fait est quo la dignité d’un personnage tragique ne se reconnaît guère dans votre figure !… Et puis j’aperçois notre excellent portier, que j’avais prié de venir me parler : si Vous le voulez bien, nous allons interrompre la leçon pour un instant ! (Se tournant vers le portier.) Me voici tout à votre service, monsieur le vice-propriétaire ! Ou, plus exactement, c’est moi qui vous ai prié de m’honorer de votre visite parce que, à mon grand chagrin, il se trouve" que plusieurs caisses remplies de costumes ont disparu de mon grenier, ou, en d’autres termes, m’ont été volées…

LE PORTIER. — Monsieur le directeur, je vais aller voir un peu là-haut !

HASSENREUTER. — C’est cela, veuillez avoir cette bonté ! Vous trouverez là-haut Mme John, que cette découverte paraît avoir inquiétée plus encore que moi…

KAFERSTEIN. — Chez ma défunte mère, lorsqu’un objet venait à manquer, dans la boutique, toujours on disait que les rats l’avaient mangé. Et vraiment, ce qu’il y a de rats et de souris ici, dans cette maison ! J’ai failli écraser une de ces bêtes, tout à l’heure, en montant l’escalier.


Quelque temps encore, la conversation se poursuit entre Hassenreuter et ses hôtes sur ce vol, qui se rattache plus expressément au sujet de la pièce. Et puis le portier va rejoindre Mme John à l’étage supérieur, et Erich Spitta, l’ex-étudiant en théologie, est de nouveau invité par le professeur à déclamer sa strophe de la Fiancée de Messine :


SPITTA (récitant d’une voix toute simple et sans aucun accent). — « Mon cœur se soulève de colère dans ma poitrine, — et mon poing se serre pour