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héros d’innombrables personnages épisodiques dont le rôle consiste, tout ensemble, à nous divertir par leur propre vérité, — ou vraisemblance, — historique et à nous rendre moins invraisemblable l’intrigue romanesque où nous les voyons intervenir. Mais pour ce qui est de cette intrigue elle-même, et de la vérité « purement humaine » des héros de la pièce de M. Schnitzler, force m’est de reconnaître que la suite de l’œuvre ne répond pas aux belles espérances que nous avaient inspirées les deux tableaux du prologue. Ni le « jeune Médard » ni l’énigmatique et ténébreuse créature dont il va s’éprendre dès le début du premier acte n’ont de quoi justifier les allures quelque peu « shakspeariennes » qu’il semble que l’auteur ait voulu leur prêter : ce sont de vaines ombres, absolument dépourvues de toute réalité vivante aussi bien que de tout relief tragique, et s’apparentant bien moins aux immortelles figures du poète anglais qu’aux protagonistes des mélodrames anecdotiques de M. Sardou. Voici d’ailleurs, en deux mots, le résumé de l’aventure autour de laquelle M. Schnitzler a très heureusement tâché à nous offrir une exacte peinture de la société viennoise avant et pendant l’occupation de la capitale autrichienne par les troupes françaises.

La sœur de Médard et son amant, le comte de Valois, ont demandé que leurs corps fussent déposés dans le même tombeau, ce qui a fourni au jeune homme l’occasion de rencontrer, au bord de la fosse, tous les membres de la noble famille française dont il s’est juré d’obtenir vengeance. Or, le comte François a laissé une sœur, Hélène, dont la fière beauté a tout de suite ému très profondément le cœur passionné du jeune libraire. Cependant celui-ci se croit tenu d’outrager la belle princesse en lui interdisant de jeter des fleurs sur la tombe commune de François et d’Agathe. Un certain marquis de Valois, cousin d’Hélène et fort épris d’elle, s’empresse de provoquer l’impertinent ; et la jeune fille lui promet de devenir sa femme s’il parvient à le tuer. Mais le marquis de Valois ne parvient qu’à blesser son adversaire ; sur quoi Hélène se décide tout de même à épouser son cousin, et puis, d’autre part, fait porter à Médard les fleurs qui ont été l’origine du duel. Et Médard, grièvement atteint d’un coup d’épée dans la poitrine, n’en trouve pas moins la force de se traîner aussitôt jusqu’au palais du duc de Valois, d’escalader le mur du jardin, et de venir tomber aux pieds de l’orgueilleuse Hélène, qui consent à le cacher dans sa chambre durant toute la nuit. Bientôt nous apprenons qu’elle est devenue sa maîtresse, et nous voyons bien que l’amour enflammé qu’il éprouve pour elle transforme l’obscur