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les plus chères du monde. Il est bon de n’être pas romancier à Manaos, car la feuille de papier coûte 100 reis (35 centimes). Il est interdit d’aimer le Champagne, car il coûte 50 francs la bouteille, et d’être mis au régime lacté, car le bon lait vaut jusqu’à 3 000 reis le litre, ou d’avoir des vêtemens blancs, car le blanchissage revient alors à 6 ou 7 francs par jour.

Il ne faut pas s’en étonner : dans cette ville, tout le monde, ou du moins tous les négocians font rapidement fortune ; le caoutchouc acheté cher aux producteurs est vendu plus cher encore. Manaos est un centre où tous viennent dépenser leur argent, et il n’est pas rare de voir tel seringueiro dépenser en quelques jours les 5 ou 6 000 francs que lui a rapportés la saison ; le reste du temps, il se contente de poisson salé et de châtaignes. Manaos est donc une ville où l’on gagne et où l’on dépense beaucoup ; de plus, c’est une ville qui s’accroît.

En effet la métropole est l’entrepôt de l’État des Amazones dont le commerce se développe de façon rapide et elle profite du courant d’émigration qui se dirige vers cet État. Le courant, d’ailleurs assez faible, est surtout national : la plupart des émigrans viennent du Céara dévasté périodiquement par des sécheresses épouvantables, et sont relativement assez travailleurs.

On a fait dans ces dernières années de grands efforts pour attirer l’émigration et en même temps on a amélioré les divers services généraux ; mais il n’y a pas de banque agricole sérieuse[1], et la poste, merveilleuse cependant si on la compare à celle de Para, où, quand elles échappent à la destruction définitive, ce qui est rare, les lettres venues d’Europe dorment plusieurs semaines dans les casiers administratifs, est des plus primitives. On paye d’avance au guichet le timbre que l’on achète. Il y a quelques années une crise financière sérieuse éclata ; cette crise est à l’heure actuelle à peu près conjurée : sous la sage et intègre administration de M. Bettencourt, l’État des Amazones s’en relève rapidement. L’avenir est lié à cette question financière dont le pays ne semble point se soucier ; il l’est également à la question d’hygiène.

La vallée amazonienne est-elle malsaine ? Il y a trente et même quinze ans, la réponse n’était pas douteuse : l’Amazonie était un des pays les plus malsains du monde. La fièvre jaune

  1. Le taux des prêts sur premières hypothèques s’élève quelquefois à 3 ou 4 p. 100 par mois.