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le narrateur des batailles de l’Empire : « Si, au début, on avait agi avec vigueur et présence d’esprit, si, au lieu de demeurer vingt jours immobiles, sans plan, sans vues arrêtées, dispersés sur une ligne de cinquante lieues, de Thionville aux bords du Rhin, en cinq corps qui ne pouvaient pas se secourir les uns les autres ; si, au lieu d’accumuler toutes ces fautes, on avait laissé 30 000 hommes sur la crête des Vosges pour observer la vallée du Rhin et qu’avec 220 000 on eût marché vigoureusement sur Trêves, on aurait rabattu les Prussiens, peut-être percé leur ligne, rejeté leur énorme masse sur Mayence et changé la face des événemens. On le croyait tout à fait en Prusse. »

Je dis que ces manques provisoires, partiels, qui ne devaient pas empêcher de marcher en avant, eussent été bien moins nombreux et peut-être nuls, si l’armée eût eu à sa tête un général vigoureux. Là ce sont les intendans qui nous instruiront. Blondeau dit : « Les changemens d’emplacement étaient permanens. La grosse affaire, en 1870, c’est que les projets ont varié tous les jours. Je citerai, par exemple, le 6e corps qui avait reçu l’ordre de se rendre du camp de Châlons à Nancy ; qui, arrivé en partie à Nancy, a reçu l’ordre de rétrograder sur le camp de Châlons, et qui, à peine de retour au camp, a dû se porter sur Metz où il n’est arrivé qu’en partie, ayant été coupé à Frouard[1]. » Wolff parle comme son chef : « Ce qui m’a surtout empêché de prendre des mesures, c’est l’absence d’ordres, de projet. Il régnait une incertitude perpétuelle. Dans les premiers jours, on parlait de passer la frontière et d’envahir les provinces rhénanes ; plus tard, on devait marcher sur Nancy, puis sur Châlons, mais tous ces projets étaient plus vite abandonnés que conçus. Comme il n’y avait jamais de plan arrêté, je ne pouvais pas recevoir d’ordres, et il arrivait fréquemment que l’on n’attendait pas seulement une réponse sur les ressources administratives pour changer de projet[2]. »

La plupart de ceux qui ont barbouillé tant de pages pour démontrer que l’armée, faute d’objets de campement, d’ambulances, etc., n’était pas en état de franchir la frontière, blâment cependant Napoléon III de ne pas l’avoir passée le 2 août et de n’avoir pas été chercher la victoire que lui aurait offerte

  1. Déposition de Blondeau, 12 février 1873.
  2. Déposition de Wolff, 17 février 1873.