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famille qui revient de la forêt voisine : cinq jours de marche à l’aller, et autant au retour, pour rapporter quelques poutres.

Nous avons le plaisir de constater là que la saison est évidemment fort clémente, car on a décidé de quitter les villages d’hiver pour se rendre aux campemens d’été ; déjà les tentes sont sorties et dressées dans les cours, pour vérifier leur état et procéder aux réparations. C’est très consolant, ces préparatifs contre la chaleur ; hélas ! pas plus qu’une hirondelle une tente de Tibétain ne fait le printemps.

Mais qu’importait le froid ? nos affaires n’allaient-elles pas admirablement ? pas la moindre difficulté, des gens d’abord assez réservés, mais simples et, en somme, accueillans. Et c’étaient là ces fameux bandits à la renommée sinistre ! « Vraiment ! » s’écrie l’un d’entre nous, « c’est trop facile de passer ici ! ceux qui ont été attaqués par les Tibétains ont dû le faire exprès. » L’imprudent ! savait-il pas que le joueur heureux ne doit jamais proclamer sa chance, sous peine de la voir tourner ? Comme l’avalanche en suspension que déchaîne une parole, les incidens vont se précipiter.

Le lendemain matin, au moment où nous allons quitter Lai-Wa pour la tribu de Mboulou, des cavaliers envoyés pour préparer notre réception reviennent inopinément, et c’est tout de suite un palabre animé avec notre escorte. Qu’est-ce donc ? Il y a, tout simplement, qu’un fort parti de cavaliers de Samsa est posté sur notre route.

Samsa est une grosse confédération au Nord des Dzorgué, particulièrement redoutée des gens de Song-Pan-T’ing, et ce conflit va nous faire toucher du doigt le mécanisme de la vie du désert.

Les Nomades sont bien des pillards, ils vont au loin dévaliser les caravanes qui passent hors de leur territoire, mais cela ne leur suffit pas pour vivre : car au Tibétain il faut du thé, et le thé ne pousse qu’en Chine. Et comme il ne plairait point à ces visiteurs et à ces guerriers d’aller l’y acheter, ils ont conclu des conventions avec les négocians de Song-Pan-T’ing. Deux fois par an, une caravane chargée de thé part de cette ville et traverse le pays jusqu’au lac Koukou-noor. En route, elle cède à chacun le thé dont il a besoin contre les peaux de ses troupeaux et