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CHEZ LES NOMADES DU TIBET.

bêtes féroces qui n’écoutent même pas la voix de leur maître.

Ces terribles gardiens sont une caractéristique des agglomérations des Nomades. Pour aller d’une habitation à l’autre, il faut, même pour les gens du lieu, être au moins deux et armés, sous peine d’être dévoré. Les chiens, heureusement, ne s’éloignent pas de la demeure qu’ils sont chargés de garder : à cinquante mètres, on n’a rien à craindre, mais malheur au téméraire qui s’approche plus près. Un de mes compagnons, emporté par son zèle photographique, en fit la cruelle expérience, et si, nous étant aperçus à temps de son imprudence, nous n’étions accourus en foule à son secours, il eût laissé aux crocs des molosses autre chose que son manteau.

Nous franchissons plusieurs enceintes de palissades qui sont vides, les bêtes étant aux pâturages, et nous arrivons devant le tertre central. Toujours point de maison. « Donnez-vous donc la peine d’entrer, » dit le chef en s’inclinant avec respect. Où donc ? Sous terre ?

Et en effet, dans le monticule même s’ouvre une porte ; à travers l’obscurité, on devine une étable à bestiaux ; puis, au delà, la caverne s’éclaire, et on débouche dans une vaste rotonde de dix à quinze mètres de diamètre, sur trois ou quatre de hauteur.

Ce tertre que nous croyions naturel est complètement creux ; de gros piliers et des poutres supportent les terres qui reposent sur des fascines. En dehors de la porte, que masque un mur séparant l’étable de la grande pièce, la seule ouverture est au sommet même de la coupole : c’est par là que sort la fumée, et qu’entrent, plus encore que la lumière, la pluie et la neige ; quand pourtant ces dernières deviennent trop violentes, quelque homme saisit une lance, fait glisser dans une rainure de la voûte des planches disposées à cet effet, et bouche ainsi l’ouverture : l’obscurité est alors complète.

Il fait d’ailleurs toujours sombre au fond de ces demeures artificiellement souterraines. Quand l’œil s’est habitué, on découvre un intérieur grandiosement barbare et primitif.

Le meuble principal est un long foyer en terre durcie, contenant deux brasiers et deux récipiens où l’argol est à portée d’être introduit dans le feu ; sur ces brasiers toujours chauffe dans de grandes marmites l’eau destinée au thé. Par ce foyer, le sol de la salle est divisé en deux compartimens : celui de