Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/839

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même implique et pose sous sa forme la plus aiguë et la plus actuelle le grave problème de la responsabilité morale encourue par le penseur ou par l’écrivain. S’il y a des sujets pauvres, il y en a aussi de riches et de féconds, et qui, d’eux-mêmes, portent l’artiste. Le sujet du Disciple est de ceux-là.

Car M. Bourget, tel que nous le connaissons déjà, n’était pas homme à méconnaître et à laisser inutilisées ces différentes sources d’intérêt : au contraire, il les a très habilement exploitées, et comme poussées à bout. Il a senti qu’il trouverait difficilement un sujet qui répondît mieux à son tempérament, à sa nature d’esprit, et il s’est laissé aller à y déployer tous ses dons. Le profond, hardi et parfois trop réaliste psychologue des sentimens et des passions, l’analyste pénétrant et subtil des idées, le moraliste délicat et même austère, le philosophe généralisateur, l’artiste à la fois ingénieux et puissant, tous ces personnages se sont donné rendez-vous, dans le Disciple et se prêtent l’un à l’autre un mutuel appui. Il n’est pas jusqu’au poète intime des Aveux qui ne s’y retrouve, et l’on y relèverait plus d’une page qui sent l’autobiographie et la confession personnelle. « Que je voudrais, moi, pour me citer en exemple, qu’il n’y eût jamais eu dans la vie réelle de personnages semblables, de près ou de loin, au malheureux Disciple qui donne son nom à ce roman[1] ! » Et tout cela donne à l’œuvre une richesse, une intensité de vie, une ardeur d’émotion qui, même du simple point de vue de l’art, sont choses infiniment rares et précieuses. Le Disciple nous offre la synthèse de toutes les qualités de penseur et d’écrivain que nous avons jusqu’ici rencontrées chez M. Paul Bourget.

Et enfin, ce qui achève de donner au livre toute sa portée et tout son prix, c’est que l’auteur n’a pas reculé devant la gravité du problème que soulevait le sujet même qu’il avait choisi ; au contraire, ce problème, il l’a attaqué avec une très courageuse franchise. Oui ou non, sommes-nous responsables de ce que nous pensons, et, plus encore, de ce que nous écrivons ? Pouvons-nous nous désintéresser des conséquences des idées que nous exprimons ? Et la sincérité avec laquelle nous les avons conçues est-elle l’unique mesure de leur légitimité ou de leur bienfaisance ? Angoissante question dont M. Bourget avait jadis entrevu

  1. Le Disciple, préface, éd. originale, p. XII.