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s’il se rebelle, par contrainte, au nom de tous. La loi est donc le seul moyen d’empêcher le triomphe de la force.

La contradiction interne qui travaille l’anarchisme éclate d’ailleurs dans la pratique, par le communisme absolu auquel aboutissent ses sectateurs, depuis Kropotkine jusqu’à Ferrer. Plus de lois ni de réglementation gouvernementale ; donc, dans le domaine de la consommation des subsistances, on prendra au tas. Mais c’est ce qui suppose un tas commun ; or, comme ce tas ne sera jamais assez infini en quantité et en qualité pour que chaque individu puisse prendre plus que sa part, il faudra que la communauté anarchiste soit régie par des règles. L’histoire montre que toutes les communautés, même les plus religieuses et les plus pénétrées d’un esprit d’amour, ne subsistent que par une forte hiérarchie et une discipline très sévère. La loi reparaît, avec toute sa force, dans « l’anomie » libertaire, qui finit par se nier elle-même.

En somme, de même que les socialistes, les anarchistes rêvent une société reconstruite sur des bases nouvelles, absolument différentes du régime actuel de la propriété. Si individualistes qu’ils soient, les anarchistes aboutissent à l’idée d’organisation sociale, d’éducation uniquement sociale, de religion humanitaire, tout comme les socialistes. Dans la pratique, l’anarchisme se change nécessairement en une forme de socialisme. D’autre part, les socialistes ont eux-mêmes pour idéal un certain anarchisme grâce auquel les individus, tous libres et tous égaux, tous frères, se grouperaient à leur gré. Ce n’est donc pas sans quelque raison que l’instinct populaire a toujours mis ensemble les révolutionnaires socialistes et les révolutionnaires anarchistes.


II

Dans les récentes morales de la « vie, » on a tenté une première réconciliation du point de vue individuel et du point de vue social. C’est à Guyau, puis à Nietzsche, que ces morales de la vie se rattachent ; c’est donc surtout chez ces deux philosophes qu’on doit en étudier les principes. Mais il importe de ne pas se méprendre sur leur véritable pensée, qui a été trop souvent interprétée à contresens.

Kropotkine, dans son livre sur la morale, a cru pouvoir se