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province ; toute cette mélancolie n’empêchera pas Fortunio de se très bien porter et d’avoir devant lui une belle carrière de bourreau des cœurs. Il y a surtout du Werther chez Augustin. D’ailleurs, il est aisé de voir à sa pâleur, à son peu de goût pour les exercices de son âge, — qui sont la marche, l’équitation, la bicyclette et la boxe, — à un certain air languissant et rêvasseur, que ce garçon ne se porte pas bien. Il souffre de quelqu’une de ces tares originelles, d’une de ces affections mal déterminées, que l’ignorance des médecins fait mystérieuses et qualifie de neurasthénie. Tel est cet adolescent maladif. Nul ne prétend que les personnages de M. de Porto-Riche soient très plaisans à regarder. Du moins on sait, avec eux, exactement à qui on a affaire. C’est une satisfaction, telle quelle.

Une conversation d’Augustin avec sa mère révélerait à celle-ci, pour le cas où elle ne l’aurait pas déjà deviné, ce qui se passe dans cette âme trop frémissante et surtout trop tôt. Cette mère met bien de la complaisance à accueillir les confidences un peu spéciales de son fils ; une autre, sans décourager cette confiance qui vient à elle, eût quand même trouvé moyen de conseiller, de calmer, d’assagir cette fièvre. Mais Thérèse Fontanet n’est pas la mère qu’il faudrait pour cette influence vivifiante et saine. Elle retrouve trop d’elle-même dans la névrose de cet enfant qui lui ressemble. Pour le morigéner et remettre au point ces gamineries sentimentales, elle manque d’autorité. Elle s’y attarde ; elle leur prête de l’importance et leur en ajoute. Elle comprend d’une façon un peu singulière le rôle d’une mère vis-à-vis de son fils. C’est le premier de nos étonnemens et d’ailleurs le moindre : Car dans cette pièce nous irons de surprise en surprise, jusqu’à l’affolement complet. Mais n’anticipons pas.

Une longue scène, assez imprévue, occupe toute la fin de ce premier acte, une scène de reproches que fait Thérèse à son mari. Elle évoqué le passé, ses souffrances, sa jalousie, les trahisons d’un mari frivole et insouciant. Pourquoi ? Cela nous semble d’abord une fausse note, et c’est en tout cas une maladresse. Puisque, depuis cinq ans, Fontanet est un mari irréprochable, pourquoi rendre à ce passé, en le réveillant, une réalité dangereuse ? Thérèse, en se taisant ; montrerait plus de prudence et surtout plus de dignité. Sans doute ; mais ni la prudence, ni surtout la dignité ne rentrent dans la définition de l’amour tel qu’on l’entend dans le théâtre d’amour. Thérèse, même dans l’amour reconquis, souffre toujours et d’une façon aussi aiguë, de l’ancienne blessure ; car elle est avant tout une amoureuse.

Entre ces trois personnages, tels qu’ils nous sont présentés, il est