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épousé, par amour, sa femme, Thérèse, il s’est, sitôt marié, mis en devoir d’aimer ailleurs. Thérèse a tant souffert, tant pleuré, tant supplié, qu’il a promis de se réformer, qu’il a même tenu sa promesse, et même qu’il la tient depuis cinq ans. Pour mieux échapper aux tentations, le ménage a quitté Paris, et s’est enfui jusqu’à Vizille qui est un village du Dauphiné, face aux montagnes, glacial en hiver et choisi à souhait pour geler toutes les ardeurs. On vit là, en famille, d’une existence retirée et active. Michel a acheté une imprimerie où il a pour premiers employés sa femme et son fils ; c’est l’atelier familial : c’est très sain. Et Michel, tout étonné qu’il soit de sa propre conversion, en arrive presque à y croire ; le Michel qu’il avait été n’est plus : le vieil homme est mort… Telle est du moins sa conviction. S’il n’arrive pas à la faire complètement partager à sa femme, toujours inquiète, c’est qu’elle a été trop meurtrie par le passé pour ne pas trembler devant l’avenir. Nous pareillement, nous restons sceptiques. Nous connaissons les héros de M. de Porto-Riche et nous savons ce qu’on peut attendre de ce genre d’individus, qu’hélas ! il n’a pas inventés. Nous ne doutons pas un seul instant que le vieil homme ne soit encore vivant, endormi seulement, et tout prêt à s’éveiller de ce sommeil dont la durée fut déjà longue jusqu’à l’invraisemblance.

Ce souci n’est pas le seul dont Mme Fontanet ait à se torturer. Et quand elle a fini de s’inquiéter pour son mari, il lui reste à se tourmenter pour son fils. Ce fils, Augustin, est un enfant des plus intéressans, mais qui n’est pas de tout repos. Il tient également de son père et de sa mère, et, comme certains enfans malavisés, — ces enfans n’auraient pas dû naître, disait Sully Prudhomme, — il a pris justement à l’un et à l’autre ce qu’il aurait dû leur laisser. De son père, il a hérité ce tempérament amoureux, qui est la marque de la maison, et qui chez lui n’attend pas le nombre des années. Comme on l’a souvent remarqué, nous n’apercevons guère autour de nous d’autres images que celles que nous portions déjà en nous. « J’aimais à aimer, » disait un autre Augustin. Et celui-ci : « Tout, dans cette maison, ne me parle que d’amour ; » c’est qu’il n’interroge les choses et les gens sur aucun autre sujet. Ce gamin précoce a seize ans. Mais ce n’est pas Chérubin, qui était vif, gai, bien portant, hardi et roué : il a pris à sa mère une nature romanesque, une sensibilité inquiète, prompte à s’attrister, ingénieuse à prolonger et à remâcher sa tristesse. Ce n’est pas même Fortunio. J’ai toujours été persuadé qu’il ne fallait pas être dupe des airs penchés du rival heureux de Clavaroche : ce sont airs à la mode pour toucher le cœur des belles en 1835 et en