Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/646

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prend soin de relater que les saintes auraient adressé à Jehanne des paroles de reproche ; et passant par la bouche de la martyre, elles prennent la forme d’un aveu.

Manchon terrifié avait refusé de venir et Warwick lui-même dut aller le chercher. Que pouvait le pauvre greffier qui tremblait à ce point et comment s’étonner des infidélités de son procès-verbal ? Il fourmille de contradictions, de lacunes et de mensonges. Lors de la réhabilitation, Manchon, mis en présence de textes falsifiés, avoua qu’il n’avait pas osé se mettre en opposition avec des hommes si haut placés : non fuisset ausus tantos viros redarguere.

Combien Jehanne, au contraire, dut être sublime en cette séance, lorsqu’en termes plus énergiques que jamais, par une double affirmation, elle proclame encore sa mission : « Si je disais que Dieu ne m’a pas envoyée, je me damnerais, moi-même, car en toute vérité c’est Dieu qui m’a envoyée. » Elle ose jeter à la face de ses juges qu’Erard n’est qu’un faux prêcheur, et qu’eux-mêmes ont menti, car jamais elle n’a prêté serment. Ses accens ont été tels que, le lendemain, Cauchon ne voudra pas la faire paraître devant ceux qui doivent la condamner.

Le 29 mai, plus de quarante assesseurs étaient convoqués pour juger de la rechute. L’invraisemblance des récits de Cauchon et la fausseté des pièces apportées réveillèrent-elles chez les membres du tribunal un tardif sentiment de justice ? Pour la première fois, les juges se séparent de l’évêque de Beau vais. Il avait tenu à rendre compte lui-même de l’interrogatoire de la veille, et lecture fut donnée de la formule d’abjuration que, d’après lui, Jehanne avait signée, pièce fausse qu’elle n’a jamais connue et que tous les témoins affirment ne pas être celle qui lui fut présentée.

Gilles Duremort, abbé de la Sainte-Trinité de Fécamp, fut appelé le second à donner son avis. Le brigandage de la fin de séance de Saint-Ouen était-il trop présent à son esprit ? Il osa demander que Jehanne fût entendue et qu’on lui lût de nouveau la formule d’abjuration. Sur quarante et un votans, trente-huit voix suivirent l’abbé de Fécamp. Qui croirait que Cauchon ne dût pas s’incliner devant ce vote du tribunal ? Mais la présence de Jehanne, les réponses qu’elle eût faites, auraient mis à nu trop d’infâmes machinations. Le soir même, l’évêque prescrit à Massieu d’avoir à citer la femme appelée vulgairement la Pucelle