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qu’elle s’est passée, il faut affirmer avec le promoteur du procès de réhabilitation, dans son article 24 : « Dans leur malice, ils en sont venus à une abjuration machinée par avance, imposée à celle qui en rien, ainsi qu’il a été dit, n’avait porté la moindre atteinte à la foi. »

Il faut avec l’évêque de Noyon dire que « ce n’était qu’une espèce d’abjuration, une dérision et que Jehanne n’avait fait que se moquer et n’en tenait pas compte. »

Avec les Anglais : Plures dicebant quod non erat nisi truffa, et quod non faciebat nisi deridere.

Enfin Manchon, premier greffier, toujours le mieux placé pour tout voir et tout entendre, nous résume cette dernière partie de la scène de Saint-Ouen en nous apportant le témoignage de Jehanne elle-même : « Ce que je sais, c’est qu’elle souriait. »

Mieux encore que tous ces témoins Cauchon savait qu’aucune abjuration n’était entre ses mains ; il avait vu Jehanne le 24 mai non moins énergique, non moins admirable que dans toutes les autres séances, s’opposer à toute rétractation, mais il n’en est que plus résolu à transformer pour la postérité ce jour d’héroïsme en un jour de faiblesse. Il annexe au dossier une pièce fausse, une abjuration qu’il compose à sa guise, que personne n’a jamais vue, ni entendue, que Jehanne n’a jamais connue. Il ne met pas la pièce elle-même, puisqu’elle n’existait pas ; c’est « une copie, » dit le procès-verbal. La cédule de six à sept lignes que Massieu avait lue, que Guillaume de la Chambre avait vue de si près qu’il aurait pu la lire, qui dura le temps d’un Pater noster, nous dit Miget, prieur de Longueville, formule d’environ six lignes de grosse écriture, ajoute Taquel, ne paraît nulle part dans les procès-verbaux. Or, la cédule annexée et où Cauchon avait inscrit le nom de « Jehanne » (aveu qu’elle savait signer) contient non pas 6 lignes de grosse écriture, mais plus de 500 mots en menus caractères. Tout est changé, truqué, falsifié.

Durant le procès, Jehanne avait déjà dit : « Vous écrivez ce qui est contre moi et non ce qui est pour moi. » Elle protestait alors, elle ne pourra plus le faire ; désormais elle ne paraîtra plus en public, elle ne sera plus amenée devant ses juges. Cauchon seul nous apportera de ses paroles un écho défiguré, où il s’appliquera à rendre vraisemblable l’abjuration qu’il a simulée à Saint-Ouen. Il n’avait pas obtenu ce qu’il cherchait, mais on avait vu Jehanne tracer un signe ; sans montrer les pièces, il