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fût-ce de force ou par ruse, c’était Jehanne elle-même qui désavouait sa mission divine et tombait alors au rang d’une aventurière, c’était son prestige détruit et la confiance rendue aux soldats anglais. La déshonorer était plus nécessaire que de la faire périr. De là, un intérêt capital à dénaturer la scène du cimetière Saint-Ouen.

Par la maladie, Jehanne avait déjà failli leur échapper, et nous voyons à cet instant Cauchon, escorté de sept assesseurs, vouloir profiter des plus saints désirs de la prisonnière pour l’amener à une rétractation. Mourante, elle ne recevrait son Dieu que si elle se rétractait ! En face de la mort, privée de tous les secours de la religion, elle répond encore : « Quelque chose qu’il m’en doive advenir, je n’en ferai ou dirai autre chose que ce que j’ai dit au procès. »

Quels moyens cependant n’avait-on pas employés ? Au médecin Jean Tiphaine qui lui demande la cause de son mal, Jehanne répond simplement : « L’évêque de Beauvais m’a envoyé une carpe ; j’attribue ma rechute à ce que j’ai mangé de ce poisson. » D’où venait cette attention subite de son plus mortel ennemi, qui provoque d’elle cette parole : « Il me semble, vu le mal que j’ai, que je suis en grand danger de mort… » Et c’est précisément le moment où Cauchon se présente avec ses affidés pour inquiéter son âme et obtenir d’elle une soumission.

A peine remise, les interrogatoires furent repris. Jehanne restait toujours inébranlable et, comme nous l’avons vu à la séance du 2 mai, savait déjouer les projets de ses juges lorsqu’elle leur déclarait que ce serait elle-même qui écrirait et dirait ce qu’était ce procès.

Les ordres des Anglais devenaient cependant de plus en plus pressans ; il fallait en finir.

Le 24 mai, elle fut donc amenée au cimetière Saint-Ouen où-deux estrades avaient été dressées : l’une de peu d’importance où se trouvaient, à côté de Jehanne, le prédicateur Guillaume Erard, l’huissier Massieu, les deux greffiers Manchon et Guillaume Colles (dit Boisguillaume) ; l’autre estrade beaucoup plus grande et très richement ornée où prirent place le cardinal de Winchester, grand-oncle du roi d’Angleterre ; Louis de Luxembourg, évêque de Thérouanne, chancelier de France pour Henri VI Jean de Mailly, évêque de Noyon, pair de France, membre du conseil privé du roi d’Angleterre ; William Andwick, évêque