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mettait une croix comme signature. Personne ne contestera l’autorité du savant P. Ayroles qui nous dit à ce sujet : « Lorsqu’elle avouait qu’une croix apposée dans ses lettres signifiait qu’il ne fallait tenir nul compte de ce qu’elle exposait, cela pouvait être une ruse de guerre fort permise, ou même une manière de se débarrasser d’importuns sollicitant des recommandations. »

Il résulte de toutes ces déclarations de Jehanne, que jamais elle n’a employé une croix comme signature, mais que parfois elle en mettait une à titre de ruse de guerre, comme désaveu de ce que comportait sa lettre.

Ce point bien établi, nous pouvons maintenant parler de la prétendue abjuration de Jehanne au cimetière de Saint-Ouen, et des circonstances au milieu desquelles, avec un sourire ironique qui a frappé tous les assistans, elle traça une croix sur la cédule qu’on lui avait donnée à signer. Jamais elle n’a été plus sublime que dans ce moment tragique ; et il a fallu des mensonges accumulés au-delà de l’invraisemblable, pour transformer en un jour de déshonneur celui où elle a montré le plus de courage, de fermeté et de mépris de la mort.


III. — LES MOTIFS SECRETS

La scène du cimetière Saint-Ouen n’avait, on peut le dire, de raison d’être que parce que Jehanne savait signer. Cette scène ne fut préparée, organisée par Cauchon que pour obtenir une signature qu’il voulait à tout prix, dût-on l’extorquer par terreur ou par force ; et si Jehanne, toujours fidèle à elle-même, faisait échouer ce dessein, Cauchon n’en était pas moins résolu à prétendre qu’elle avait cédé. Pour arriver à ce but, ni le mensonge, ni la substitution des pièces ne devaient l’arrêter.

A tous les efforts de ses adversaires, Jehanne avait jusqu’à ce jour opposé une fermeté admirable, sans jamais rien rétracter de sa mission : depuis un an qu’elle était prisonnière, et depuis trois mois que se déroulait le procès, les enquêtes tournaient à sa gloire, et les interrogatoires à la confusion de ses juges, Bedford, Warwick, etc, s’impatientaient de ces lenteurs, car une crainte superstitieuse continuait à planer sur leurs soldats. Pour leur rendre courage, il fallait que Jehanne ne restât pas l’héroïne sans tache, l’envoyée de Dieu. Une signature surprise,