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Trémoille, La Hire, etc. ? » Et Jehanne de répondre très finement : « Je veux bien qu’on leur envoie un messager, mais c’est moi qui leur écrirai ce que c’est que ce procès ; autrement, inutile. » Tous les termes de cette réponse sont à peser. Impossible de ne pas y trouver dans la bouche de Jehanne la confirmation de ce que ses signatures nous avaient fait supposer, qu’elle avait appris à écrire. C’est moi qui leur écrirai. Ce n’est plus comme à Poitiers où, dix-neuf mois auparavant, elle disait à Jean Erault : Ecrivez ce que je vous dirai. Ce moi n’est-il pas la négation de tout recours à un secrétaire en qui elle n’aurait aucune confiance, car elle se sait entourée d’hommes résolus à la perdre.

On avait compté sur un refus de sa part, et sa réponse déjoue toutes les manœuvres. Cependant, ni les juges, ni les 67 assesseurs ne relèvent cette déclaration. Leur silence est un acquiescement, et indique bien que personne n’ignorait qu’elle pût écrire comme elle se disait décidée à le faire.

Si on se reporte à la séance du samedi 24 février, Jehanne avait déjà donné une affirmation non moins positive. A diverses questions qui lui étaient posées, elle avait répondu ne pouvoir rien dire sans en avoir obtenu la permission de ses voix ; et à une dernière question de Jean Beaupère, elle ajoutait : « Je ne suis pas tenue de vous répondre à ce sujet. Je demande que l’on me donne par écrit les points sur lesquels je ne réponds pas en ce moment. » Elle seule pourra lire et relire cet écrit en demandant à ses « voix » de l’inspirer, car, abandonnée dans sa prison, à qui pourrait-elle avoir recours ? Il faut donc croire qu’elle savait lire ?…

Un autre témoignage nous est encore apporté par les réponses de Jehanne à la séance du 1er mars. Le comte d’Armagnac, qui avait été excommunié par le pape Martin V comme un des plus fougueux partisans de Benoît XIII et de Clément VIII, songeait à rentrer dans le sein de l’Eglise. Dans ces conjonctures, il écrivit à la Pucelle. La lettre lui parvint le 22 août 1429, au moment où elle s’apprêtait à quitter Compiègne pour marcher sur Paris. Compiègne venait de faire sa soumission ; le Roi s’y était rendu et paraissait s’y oublier. C’est là en effet qu’il décida la trêve désastreuse où il se laissait berner par le Duc de Bourgogne. Jehanne appelle alors le Duc d’Alençon et lui dit : « Mon beau Duc, faites apprêter vos gens et ceux des