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Tout cela est possible, ou plutôt tout cela est vrai, puisqu’on le dit expressément, mais ne suffit pas à expliquer l’espèce de volte-face qui s’est faite à Potsdam. Si elle s’était faite, ce que nous ignorons, à l’insu de la France et de l’Angleterre, c’est-à-dire sans qu’elles eussent été préalablement informées des vues toutes nouvelles de la Russie, les deux puissances auraient évidemment le droit de demander à leur tour quelques explications. Nos journaux disent peu de chose à ce sujet. Les journaux anglais parlent davantage et manifestent un mécontentement assez vif. Ils rappellent, et certainement en connaissance de cause, qu’une des bases de la triple entente avait été la solidarité qui s’était établie entre les trois puissances au sujet des chemins de fer d’Asie : pour tout dire en un mot, il avait été convenu qu’on ne ferait rien les uns sans les autres. L’Angleterre, depuis son rapprochement avec la Russie, et la France, depuis plus longtemps encore, avaient accepté cette conception de leur devoir commun et y avaient fait des sacrifices appréciables. Tout le monde connaît la grande entreprise à laquelle l’Allemagne s’est attachée en Asie-Mineure ; le chemin de fer de Bagdad, lorsqu’il sera terminé, sera son œuvre, non pas qu’elle y ait travaillé seule, mais parce que, à tous les points de vue, elle y a apporté le principal effort. Cet effort, qui a vaincu déjà beaucoup d’obstacles, vaincra peu à peu les autres et aboutira un jour, lentement, mais sûrement. La France aurait pu s’y associer beaucoup plus largement et beaucoup plus utilement pour elle qu’elle ne l’a fait. Son abstention relative s’explique par le fait que, la politique russe, avec laquelle elle a toujours voulu rester d’accord, n’a été, pendant longtemps, rien moins que favorable au chemin de fer allemand. Nous avons perdu là, en vue d’un intérêt d’ordre supérieur, des occasions fructueuses qui ne se retrouveront plus, et c’est pourquoi il y a eu dans l’opinion une véritable surprise, qui n’en était peut-être pas une pour notre gouvernement, lorsque le projet d’arrangement russo-allemand a été connu. Ce projet contient deux clauses auxquelles rien ne nous avait préparés : la première porte que la Russie ne fera plus aucun obstacle, ni politiquement, ni matériellement, ni financièrement, à l’achèvement du chemin de fer de Bagdad ; la seconde, plus imprévue encore, que ce chemin de fer sera rattaché ultérieurement, par une voie de raccordement à établir entre Bagdad et Kanikine, aux chemins de toutes sortes que la Russie pourra faire dans la Perse septentrionale. Encore une fois, c’est là toute une révolution dans la politique russe. La Russie accorde à l’Allemagne