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complimens de bonne année, si, avant cette date, il n’avait pas raccordé la grâce de Durand… Il l’a accordée… La peine de mort prononcée contre Durand a été commuée en quelques années de réclusion. Jamais grâce n’avait encore fait descendre une condamnation d’un aussi grand nombre de degrés dans l’échelle des peines. Fiers de ce premier avantage, les meneurs syndicalistes ont déclaré aussitôt que le gouvernement ne croyait évidemment pas à la culpabilité de Durand, qu’il se ralliait à leur sentiment, qu’il adoptait les conclusions de leur enquête ; mais alors, ont-ils dit, il ne faut pas s’arrêter à moitié chemin, il faut mettre Durand en liberté. Est-ce assez ? Non ; après avoir rendu la liberté à Durand, il faut lui rendre l’honneur et réviser son procès. Si les pouvoirs publics hésitent, on leur forcera la main en proclamant la grève générale. Rien que cela : nous en sortons, nous y retournerions. Le bluff a trop souvent réussi aux révolutionnaires, mais il a des limites et, cette fois, elles nous paraissent avoir été considérablement dépassées. Il faudrait une étrange crédulité pour s’effrayer d’une aussi vaine menace. Nous n’entendons pas dire par là qu’il faille s’opposer de parti pris à la révision du procès de Durand : il faut seulement ne pas la regarder a priori comme inévitable parce que les meneurs syndicalistes la demandent, et sur quel ton ! Des erreurs judiciaires sont toujours possibles ; aussi sont-elles prévues par nos codes qui ont énuméré les cas où une révision devrait intervenir et la procédure à suivre en pareil cas. Qui ne sait aujourd’hui que la première condition pour qu’il y ait lieu à révision est la découverte d’un fait nouveau de nature à jeter des doutes sur le bien fondé du premier jugement ? Y a-t-il un fait nouveau de ce genre dans l’affaire Durand ? Rien de tel ne nous est apparu jusqu’ici, mais il faudrait, pour se prononcer, avoir tout le dossier sous les yeux.

Attendons que la lumière soit faite. Nous ne nous opposons pas plus à la révision que nous ne nous sommes opposés à la grâce : notre seul désir est que la révision se produise, s’il y a lieu, dans d’autres conditions que la grâce, c’est-à-dire autrement que par la capitulation et l’humiliation des pouvoirs publics. L’énergie du gouvernement se serait-elle épuisée pendant la grève des cheminots ? Dans ce cas, nous ne serions pas sans inquiétude pour l’avenir. Les grands moyens peuvent servir à traverser une épreuve exceptionnelle ; mais c’est par la suite dans les idées et dans la conduite, par la vigilance quotidienne, par l’art de gouverner appliqué avec méthode et fermeté qu’on évite le renouvellement de ces épreuves toujours redoutables,