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fera encore. Durand est ce meneur syndicaliste de Rouen qui, après le meurtre abominable du malheureux Dongé, coupable d’avoir travaillé lorsque ses camarades s’étaient mis en grève, a été condamné à mort par le jury de la Seine-Inférieure. Durand n’avait pas fait partie de l’escouade d’exécution qui a porté les coups mortels à Dongé, mais il a été accusé, aux assises, d’avoir été le complice et même le provocateur de l’assassinat. Dongé aurait été condamné à mort dans une réunion que Durand avait présidée et par un vote qu’il avait mis aux voix : la sentence ainsi rendue devait trouver et a trouvé des bourreaux pour l’exécuter. Le jury a été plus sévère pour l’instigateur du crime que pour ses auteurs immédiats : ces derniers ont été seulement condamnés aux travaux forcés. Mais à peine le verdict rendu, il en a été étonné et troublé, et s’est empressé de signer un recours en grâce au Président de la République. Le jury de Rouen voulait-il dire par là, comme on l’a prétendu depuis, qu’il s’était complètement trompé, que Durand n’avait eu aucune participation au crime, ni directe, ni indirecte, et qu’il devait être mis tout simplement hors de cause ? Rien n’autorise à le croire. Il arrive assez souvent qu’un jury, après avoir entendu prononcer une peine qu’il juge excessive, signe un recours en grâce : personne jusqu’ici n’en a conclu à la parfaite innocence du condamné. Le jury de la Seine-Inférieure a exprimé le désir que M. le Président de la République, usant de son droit de grâce, commuât la ; peine prononcée contre Durand en une peine moins forte : voilà tout.

En cela, le jury était d’accord avec le sentiment général. L’assassinat de Dongé a été un acte effroyable ; il devait provoquer et a effectivement fait naître une très vive indignation. Néanmoins, personne n’a désiré que la sentence prononcée contre Durand fût exécutée, et personne n’a cru qu’elle le serait. Mais le parti syndicaliste révolutionnaire ne pouvait pas laisser échapper une aussi bonne occasion de manifester ; et comme il était sûr d’obtenir la grâce du condamné, il a voulu se donner l’apparence de l’exiger et de l’arracher de haute lutte aux pouvoirs publics intimidés. Une campagne a été commencée en vue de prouver l’innocence de Durand : une enquête officieuse a été faite par des juges destruction improvisés. À peine était-elle terminée, avant même qu’elle le fût, les meneurs annonçaient le projet d’organiser une manifestation populaire qui se porterait sur l’Elysée le 1er janvier, et ferait entendre à M. le Président de la République autre chose que des discours du corps diplomatique et des grandes administrations de l’État, autre chose que des