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de prêter beaucoup d’attention aux doléances, légitimes ou imaginaires, de l’obscure découpeuse de fleurs en papier. Appelé par la confiance de son souverain au ministère de l’Intérieur, il s’était employé de toute son âme à établir dans le royaume de Prusse une constitution libérale ; après quoi, quand à la fin de l’année 1819 l’hostilité du parti conservateur l’avait décidément obligé à prendre sa retraite, c’est avec une ardeur et un zèle non moins passionnés qu’il s’était plongé dans ses chers travaux de philologie et d’histoire. Une existence nouvelle s’était, depuis lors, ouverte devant lui, qui n’allait pas lui apporter moins d’occupation, ni certes moins de gloire et moins de bonheur, que son ancienne carrière d’administrateur et de diplomate ; en même temps que, d’année en année, sa haute figure allait acquérir aux yeux de ses contemporains plus de grandeur solennelle et sereine, se détachant, avec celle de son illustre ami le poète « olympien « de Weimar, au-dessus d’un monde dont les vaines et misérables agitations semblaient lui être, désormais, devenues étrangères.


Que l’on imagine donc la surprise que dut éprouver Charlotte Diede en recevant tout à coup, vers le milieu d’avril de l’année 1822, — après une longue période où elle avait même renoncé à importuner de ses lettres un bienfaiteur qui, trop évidemment, ne se souciait plus de son humble personne, — un billet où ce bienfaiteur la suppliait instamment de ne pas l’oublier !


Il y a bien longtemps, — lui écrivait-il, — que je suis sans nouvelles de vous. Cela me peine, oui, cela me désole très profondément, d’être ainsi oublié de vous, pendant que, moi-même, je ne cesse pas de penser à vous. Écrivez-moi, ma chère Charlotte, aussitôt que vous aurez reçu ces lignes ! Faites-moi savoir ce que vous êtes devenue et ce que vous devenez ! Depuis longtemps déjà, je désirais vous écrire, pour vous implorer de me donner de vos nouvelles. Mais peut-être suis-je moi-même responsable de votre silence ? Il se peut que la rareté de mes lettres vous ait refroidie à mon égard, et vous ait fait craindre de m’importuner !… Adieu, chère Charlotte, portez-vous bien, et répondez-moi tout de suite !


Deux ou trois jours après, sans attendre l’effet de sa première lettre, Guillaume de Humboldt écrit de nouveau, simplement parce que « tout son cœur aspire à recevoir quelques lignes » de la main de Charlotte. « Pourvu, au moins, que j’aie l’assurance que vous ne m’avez pas oublié ! » Et puis, le 3 mai suivant, en réponse à la lettre ainsi sollicitée, la joie, la reconnaissance du glorieux homme d’État s’épanchent librement. Avec une insistance à la fois toute