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philosophiques qui toujours avaient eu un vif attrait pour elle, ou bien lui confiant ses hésitations et ses doutes au sujet de son prochain mariage, avec la vague espérance de s’entendre offrir, en échange de ce parti qui commençait dès lors à l’épouvanter, un autre parti qu’elle aurait été trop heureuse d’accueillir aussitôt : car il semble bien que l’intelligence, la beauté, l’éminente distinction aristocratique de son nouvel ami lui aient fait apparaître celui-ci comme la réalisation parfaite d’un type de héros idéal dont l’image s’était formée en elle sous l’influence de ses rêves et de ses lectures. Mais lui, probablement accoutumé déjà à de tels hommages, n’avait vu là, — ou tout au moins n’avait cru y voir, — qu’une diversion agréable aux savantes recherches juridiques qui, à ce moment, l’occupaient tout entier. Après ces trois journées de flânerie sentimentale, il avait quitté Pyrmont et s’en était allé reprendre ses travaux à Gœttingue, sans laisser à Charlotte Hildebrand d’autre trace de leur rencontre que quelques lignes qu’il avait daigné écrire sur l’une des pages de l’album de la jeune fille, — quelques lignes d’une petite écriture nerveuse et rapide, où il lui disait : « Le sentiment du vrai, du beau, et du bien ennoblit l’âme et vivifie le cœur ; mais ce sentiment lui-même, qu’est-il sans une âme proche de la nôtre avec qui nous puissions le partager ? Jamais encore je n’ai été aussi fortement et intimement pénétré de la vérité de cette pensée qu’en l’instant où me voici forcé de vous dire adieu ! À Pyrmont, ce 20 juillet 1788, — Guillaume de Humboldt. »


Ai-je besoin de rappeler aux lecteurs de cette revue ce qu’a été, ensuite, la carrière du jeune étudiant de Pyrmont ? Entré dès 1789 dans l’administration prussienne, Guillaume de Humboldt a d’abord rempli avec un éclat inaccoutumé les délicates fonctions d’ambassadeur à Rome. Un peu plus tard, aux environs de 1810, de retour en Allemagne, il a glorieusement marqué son passage au ministère de l’Instruction publique en créant cette Université de Berlin où, pour la première fois, l’enseignement supérieur a pris la forme qu’il allait plus ou moins revêtir, désormais, dans tout le reste de l’Europe. En août 1813, Humboldt était ambassadeur à Vienne, et l’on sait avec quelle habileté singulière il a réussi à détacher l’empereur d’Autriche de son alliance avec son gendre Napoléon ; après quoi, il a accompagné à Paris les souverains victorieux, tenant auprès d’eux un rôle de confident et de conseiller qui lui a permis d’exercer une grande influence sur les événemens politiques du temps ; et c’est encore lui