Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/438

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jusqu’à se rendre de l’écurie au salon sans changer de costume ; Gianni Rebaldi, fier d’avoir dépensé toute sa fortune à Bologne, la grand’ville, et qui garde, après la cinquantaine sonnée, des airs de don Juan ruiné. Et nous ne chercherons pas en eux des caractères profonds, puisque nous savons bien que c’est peine inutile ; mais nous nous réjouirons à regarder ces dessins adroits et ces documens précieux.

Enfin, Milan : « la plus belle ville du monde, » comme le dit quelque part Rovetta. N’y étant pas né, il ne la chérit pas de la même façon que ces amoureux du passé, qui se promènent avec une sorte de volupté dans les rues les plus étroites et les plus tortueuses, cachent leur maison dans l’ombre de quelque antique église, et vouent une âpre rancune aux démolisseurs qui apportent l’hygiène en enlevant la poésie. Ceux-là connaissent la topographie de la ville ancienne mieux encore que celle de la ville présente ; pas un détail de son histoire ne leur est inconnu ; ils se réfugient dans des sociétés d’archéologie pour célébrer entre initiés le culte des maisons qui s’écroulent et des murs qu’on abat. Rovetta, au contraire, aime la capitale comme un homme qui s’est ennuyé en province. Il est Milanais d’élection, et non pas ambrosiano de race. Il n’a, pour les édifices du passé, ni superstition, ni dédain ; il veut bien leur accorder une considération polie ; les traces d’une civilisation antérieure lui semblent les ornemens d’une civilisation qui vaut mieux ; il les prend comme une curiosité plutôt que comme un patrimoine. Ce n’est pas à la poésie qu’il prétend ; c’est au bien-être. Il aime marcher dans des rues propres et spacieuses, aller d’un pas nonchalant jusqu’aux Jardins publics, regarder sur la place du Dôme la ronde effrénée des tramways autour de la statue de Victor-Emmanuel, entrer sous la Galerie pour flâner aux étalages. La Galerie, il l’a mise même au théâtre, avec la Station centrale. Il déjeune au Cova, le café des élégans et des intellectuels ; et comme il estime que tous ses lecteurs doivent être initiés aux moindres détails de la vie milanaise, il ne leur laisse pas ignorer qu’il y a deux portes pour sortir de ce lieu célèbre, l’une qui donne sur la via Manzoni, l’autre sur la via Giuseppe Verdi. Il va aux courses à San Siro ; il soupe chez Biffi. Il fréquente assidûment la Scala, qu’il célèbre sur un ton dithyrambique. Comme il fait bon vivre à Milan ! Comme Rovetta est heureux que la destinée l’y ait amené plutôt qu’en