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De tous les croquis qu’elle a laissés, les plus précieux sans doute seront ceux qui ont trait à la vie milanaise. Bornée dans l’espace comme elle l’est dans le temps, l’œuvre de Rovetta ne se « désitalianise » pas ; lui-même est tout le contraire d’un cosmopolite, en quête de sensations rares dans des lieux nouveaux. Il parle quelquefois de l’Amérique, parce que ses compatriotes y émigrent ; de l’Angleterre, parce qu’il n’est pas de pays que les jeunes élégans d’Italie imitent plus volontiers dans leurs modes et dans leurs allures ; de la Suisse, parce que les Milanais y choisissent parfois leur résidence d’été ; de la France, parce que la France fournit les citations de bon goût, les chanteuses légères et les toilettes de bal. Mais il n’a jamais songé à s’embarquer à Gênes pour New-York ; il n’a visité ni Londres, ni même Paris. New-York, Paris, ou Londres, ne sont pas des villes réelles, vues au-delà des frontières, à leurs places respectives : mais simplement les impressions que ces villes ont laissées dans l’esprit de ceux qui entourent Rovetta. « Les cent cités d’Italie, » comme on dit là-bas, sont déjà rendues avec plus de relief. Il est peu probable que le temps vienne jamais, où la précieuse et la charmante variété qui les distingue s’atténue jusqu’à les rendre toutes pareillement ternes. Quarante ans d’unité n’ont pas encore émoussé cette originalité locale, qui séduit le voyageur par ses aspects toujours imprévus : si bien qu’en allant de province en province, il croit voir tous les aspects du pittoresque ou du grandiose séparés et gradués pour son propre plaisir. Rovetta a su rendre à merveille l’impression de ces milieux changeans et diversement beaux. C’est à lui que l’étranger qui voudrait se faire à l’avance une idée de l’Italie vivante devrait s’adresser, comme à un guide sûr, bien plutôt qu’aux œuvres composées à la hâte par des étrangers aussi, et qui tiennent généralement le milieu entre la poésie lyrique et le Baedeker. Il ne trouverait pas dans ses romans de visions et d’extases ; il n’entendrait pas de leçons d’histoire ; on ne l’arrêterait pas devant toutes les statues, tous les tableaux, toutes les pierres ; on lui épargnerait ces impressions d’art qui deviennent factices, dès qu’elles cessent d’être exclusivement personnelles. Mais en revanche, il apprendrait à vivre de la bonne vie naturelle, avec les vivans ; il apprendrait à connaître les villes d’Italie telles qu’elles sont en elles-mêmes, sous leur aspect réel, dans leur existence de tous les jours : ce qui suffit