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passent à ses côtés la laissent malheureuse sans compatir à ses souffrances : pour deviner toute l’étendue de sa misère, il faudrait au moins des indices suffisans ; on ne la comprend qu’à l’instant de sa mort. Sa fille, par contraste, représente toute la perversité du sexe. À huit ans, elle connaît déjà la valeur des baisers donnés aux hommes : elle embrasse Vharé, le beau séducteur dont elle a entendu son père raconter tout bas les aventures, « avec un frémissement de tout son petit corps. » À treize ans, elle séduit Frascolini, le fils du secrétaire de mairie, jusqu’à le rendre fou ; puis elle l’abandonne, et se soucie aussi peu de cette vie perdue que d’un jouet brisé. Elle épouse Giorgio della Valle, qu’elle n’aime pas, pour l’enlever aux autres, qui l’aiment ; elle le trompe avec un homme qu’elle n’aime pas davantage. Elle est assidue à l’église ; elle fait des neuvaines et des pèlerinages ; elle s’impose des mortifications ; elle va se confesser du dernier rendez-vous qu’elle a donné, et se repent jusqu’au prochain, qui a lieu le soir même ; elle ferme sa chambre à son mari, parce qu’il refuse d’aller à la messe ; elle entreprend de convertir son amant. — Les autres femmes enfin ne sont que niaiserie et platitude : Giulia, la fille pauvre, qu’on voit dans tout le roman en quête d’un mari, sans savoir ce qu’elle pense, ce qu’elle aime ou ce qu’elle hait ; miss Dill, l’institutrice anglaise, égoïste et desséchée ; Nena, la petite paysanne qui se laisse séduire bêtement ; Mme Octavie et Mme Véronique, l’épouse du pharmacien et l’épouse du maire, lune florissante et l’autre maigre, l’une matérielle et l’autre poétique : toutes deux sottes, infidèles, destinées sans doute à égayer le roman, et qui plus d’une fois sont pénibles. — Ce n’est point là ce qu’il faut pour mériter la gloire d’un observateur délicat de la psychologie féminine ; Rovetta ne résiste pas à l’épreuve.

Ces lacunes et ces défaillances dans la conception des caractères amènent fatalement des défauts dans la façon dont il les expose ; il est nécessaire que son manque de philosophie se traduise par une imperfection de son art. En premier lieu, et malgré sa virtuosité, qui est grande, il n’échappe pas à une certaine monotonie. Ses personnages sont nombreux comme dans la vie, il est vrai : mais ils sont moins variés ; et surtout, les intrigues qui les rassemblent sont conçues suivant un plan trop uniforme ; c’est une impression qu’on éprouve bien vivement, lorsqu’on lit plusieurs de ses œuvres à la suite. Trop