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mauvais gouvernement. Cependant, la force militaire d’une nation n’est-elle pas elle-même dépendante de sa prospérité matérielle et financière ? La mise en valeur de l’Empire ottoman est l’œuvre capitale au terme de laquelle est le salut et sans laquelle il n’est pas de salut. En Macédoine, en Albanie, en Arménie, en Syrie, dans des contrées d’où Rome tirait de prodigieuses richesses et qui, au moyen âge, faisaient l’admiration de nos croisés, règne aujourd’hui la désolation, la stérilité. Les troupeaux ont arraché les dernières touffes d’herbe, les bergers ont brûlé les dernières souches des forêts, et les torrens, dévalant du haut des montagnes, ont mis à nu les rochers, sillonné les plaines de profonds ravins, recouvert les champs d’énormes couches de cailloux roulés, comblé les anciens ports ; la ronce et l’herbe folle envahissent les plaines ; ainsi vont se perdant d’admirables sources de richesse et de vie qui jamais ne retrouveront toute leur fécondité première ; ainsi s’opère sur notre globe, par l’incurie ou la barbarie de l’homme, « la dégradation de l’énergie[1]. » Arrêter cette ruine, refouler cette misère, détourner la malédiction qui semble peser sur la terre où règne le Turc, quelle tâche plus belle, plus salutaire pourrait solliciter des hommes qui auraient la volonté persévérante de régénérer leur pays ? Ramener la prospérité c’est, en Macédoine, par exemple, l’unique secret d’une pacification définitive. « Quand il n’y a pas de foin au râtelier, les chevaux se battent, » dit l’adage français. Que le paysan macédonien s’enrichisse, et il n’y aura bientôt plus ni Bulgares, ni Turcs, ni Grecs, mais seulement des propriétaires, préoccupés d’engranger leurs récoltes et de mettre à l’abri leurs économies.

Pour l’amélioration de l’agriculture, rien ou à peu près rien n’a été fait. En Macédoine, tout se réduit à l’achat de quelques étalons et à quelques initiatives utiles ; l’une d’elles est particulièrement heureuse : une commission a été chargée, sous la direction de M. Schrader, le géographe français bien connu, de dresser le plan des divagations du Vardar, qui transforment la riche plaine de Salonique en un marais pestilentiel, et de l’assainir par des opérations de drainage et de canalisation. La Macédoine est infestée par le paludisme ; le 3e corps d’armée perd chaque année un vingtième de son effectif par les

  1. Voyez, dans le beau livre de Bernard Brunhes : la Dégradation de l’énergie, les fortes pages du chapitre XI et la conclusion (1 vol. in-12 ; Flammarion).