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fonde rien sans elle, pas même la liberté, et il serait injuste de faire grief aux Jeunes-Turcs de l’avoir employée. Depuis la révolution du 26 juillet 1908 et la proclamation de la Constitution, l’Empire ottoman n’a connu que les dehors et les formes d’un régime parlementaire ; il est, en réalité, régi par l’absolutisme d’un comité ; il est gouverné par une oligarchie fortement organisée en société secrète et appuyée sur l’armée. Le despotisme, au lieu d’être exercé par un homme, appartient à un parti, mais il est toujours le despotisme, c’est-à-dire un gouvernement sans contrôle ni responsabilité ; les pendaisons de 1909 ont montré qu’il n’était ni plus clément, ni plus scrupuleux sur les formes de la justice, que le régime hamidien. Constantinople subit toujours l’état de siège, et l’on ajourne de plus en plus l’établissement d’un régime légal. Ni la presse, ni la parole ne sont libres. Le rôle du Parlement est subordonné à celui du Comité, les débats ne sont guère qu’une mise en scène dont l’issue est réglée d’avance. La séparation du parti « Union et Progrès, » qui agit au Parlement, d’avec le Comité, qui prépare son action, n’est qu’une fiction ; pratiquement, ce sont deux organismes connexes mus par la même volonté. En fait, l’initiative des décisions appartient au Comité ; il impose ses résolutions au Parlement et au Cabinet, il fait et défait les ministres, prépare les lois et les fait voter, inspire la politique extérieure : il est l’âme du mécanisme gouvernemental. Une session du Parlement s’est ouverte le 14 novembre à Constantinople, mais en même temps se tenait, à Salonique, un congrès du parti Union et Progrès. Là, dans le plus grand secret, les destinées de l’Empire ottoman ont été agitées. Aucune communication n’a été faite à la presse. Le lieu des séances était ignoré des délégués une heure avant la réunion, et il n’en fut pas tenu deux dans le même local. Dans ces réunions, clandestines comme des tenues maçonniques ou des conspirations de la Sainte-Vehme, tout a été discuté et décidé, depuis l’altitude que prendra le gouvernement vis-à-vis de la France ou de l’Allemagne et la condition qui sera faite aux chrétiens de Macédoine, jusqu’aux réformes à accomplir et au sort du ministère. C’est là qu’il faut chercher le véritable gouvernement de l’Empire ottoman. Il est doté d’une constitution parlementaire, mais, dans cet État constitutionnel, un seul organe, en réalité, fonctionne normalement : c’est le souverain ; Mehemet V règne, mais ne gouverne pas.