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leurs chars étincelans ; les dauphins et les nymphes célestes, les Apsaras, dansent sur ses flots. Hommes et bêtes suivent sa course majestueuse. Enfin elle gagne la mer, mais l’Océan lui-même ne peut l’arrêter. La rivière sainte plonge jusqu’au fond des enfers, et les âmes se purifient dans ses flots pour remonter aux Immortels[1]. Image superbe de la sagesse primordiale, qui tombe des hauteurs du ciel et descend jusqu’aux entrailles de la terre pour lui arracher son secret.

I. — LES RICHIS DES TEMPS VÉDIQUES ET LA SAGESSE PRIMORDIALE

Après que le Manou, conquérant de l’Inde, appelé Rama[2] par la tradition indoue et que plus tard les Grecs identifièrent avec leur Dionysos, eut frayé la voie à ses successeurs, un fort torrent de race aryenne descendit des hauts plateaux de l’Iran par la vallée de l’Indus dans les plaines de l’Indoustan. Alors les populations noires et jaunes de l’Inde primitive se trouvèrent en présence de vainqueurs à la peau blanche, aux cheveux dorés, au front brillant, qui leur semblèrent des demi-dieux. Sur son char traîné par des chevaux blancs, le chef aryen apparaissait couvert d’armes luisantes, la lance au poing ou l’arc à la main, pareil au dieu Indra des hymnes védiques qui chasse devant lui les nuées du ciel avec les éclairs et la foudre. Il triomphait facilement avec ses compagnons des hordes noires qu’il combattait. Il les repoussait devant lui en les soumettant sans violence, sans cruauté, quelquefois par sa seule présence. Il en faisait des artisans, forgerons d’acier, tisseurs de laine et de lin, ou gardiens des grands troupeaux de bétail dont vivait sa peuplade. L’indigène, superstitieux et craintif, qui adorait des fétiches, des serpens ou des dragons, qui ne voyait dans le soleil et les astres que des démons hostiles, entendait avec étonnement le chef aryen lui dire qu’il descendait de ce soleil et que le dieu Indra, qui tonnait dans le ciel, était son protecteur, maniant l’éclair comme lui les armes. Souvent aussi, au milieu des grands pâturages ceints de palissades, dans la maison de bois habitée par le patriarche, le serviteur au teint foncé voyait, avec la même surprise, l’épouse resplendissante de blancheur aviver le feu du foyer avec des gestes graves en prononçant des formules

  1. Le Ramayana, t. I. p. 38. Traduction d’Hippolyte Fauche.
  2. Voyez la Légende de Rama dans mes Grands Initiés.