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de l’État, une bonne justice. Il n’était que de prendre contre lui des précautions. Le décret du 14 décembre 1810 restaura donc le Barreau en lui imposant la surveillance du pouvoir, en lui retirant l’autonomie d’une corporation indépendante. Il y aura désormais un tableau ; il y aura un Ordre, et des règles professionnelles, et un conseil de discipline, et un bâtonnier. Mais le grand juge, ministre de la Justice, est investi d’un droit souverain : il peut « selon le cas » — on entend ce que cela veut dire — prononcer contre un avocat des peines disciplinaires et même la radiation du tableau. Le Conseil et le bâtonnier sont, non pas élus par l’assemblée générale de l’Ordre, mais choisis par le procureur général, représentant direct du ministre, sur deux listes dressées, l’une par cette assemblée, l’autre par le Conseil ; et l’assemblée enfin, au lieu de se réunir comme autrefois pour délibérer sur tous les sujets qui intéressent l’Ordre, ne pourra être convoquée par le bâtonnier qu’en vue de l’élection. Le Barreau revit, mais réduit à quelle condition modeste et subordonnée.

Cependant, tel qu’il était alors, il a repris sa vigueur et rendu les services qu’on attendait de lui. Si les avocats répondaient par une hostilité sourde à la défiance que l’Empereur ne leur avait pas cachée, ils travaillèrent du moins, suivant ses vues, à rétablir fortement la justice du pays. Parmi les magistrats nouveaux, ils voyaient un grand nombre des leurs ; aux audiences, les traditions de tenue, de sérieux, de dignité ne semblaient pas avoir été interrompues. Le Code civil sollicitait de tous un effort pour l’application aux faits quotidiens d’une loi qui, elle aussi, mêlait le présent au passé. Enfin, une pléiade d’hommes jeunes, pleins de talent, représentant l’ancienne bourgeoisie et la nouvelle, apercevaient justement quel emploi plus vaste l’État moderne pouvait réserver à leur classe, à leur profession, à eux-mêmes. Sitôt l’Empire tombé, le Barreau n’eut pas de peine à obtenir de la Restauration des retouches au décret de 1810, — retouches incomplètes, qui exaltaient « l’honneur de cette profession, » desserraient un peu les liens du décret et d’ailleurs maintenaient des exigences telles que le serment politique. La Révolution de Juillet, qui était aussi bien la victoire des avocats, leur donna des satisfactions plus pratiques. Dupin aîné, l’un des vainqueurs, fit rendre au profit de son Ordre l’ordonnance du 27 août 1830. Désormais