Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/340

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toujours inlassable, luttant d’une énergie obstinée contre l’obstination des juges. Emprisonné pour avoir défendu Marie-Antoinette, il fut heureusement libéré par décret. Son effort maintenait contre la plus cruelle injustice la protestation du droit, et donnait aux victimes la consolation d’une amitié qui se vouait à elles sans réserves. Mais la marée sanglante montait de plus en plus, et lorsqu’elle finit par étouffer ceux qui l’avaient fait croître, il n’y avait plus de défense ; il n’y avait plus rien.

Si le 9 Thermidor marqua le terme des horreurs et la fin du sinistre tribunal qui avait siégé dans la Grand’Chambre du Parlement, on devait attendre encore plusieurs années pour que la justice même fût rétablie. La période du Directoire avait fait épanouir, sous le nom de défenseurs officieux, la floraison des gens d’affaires les plus tarés, les plus avides, les plus incapables. Une tourbe envahit les audiences, celle des hommes qui avaient été rejetés naguère, pour indignité, des corporations d’avocats, de procureurs et de notaires. Le plaideur fut exploité impudemment : le juge fut trompé par tous les moyens ; la justice se trouva mêlée à tous les tours, aux expédiens, aux escroqueries dont ces étranges défenseurs usaient d’une manière habituelle. Les anciens avocats résistaient de leur mieux. Mais ils étaient comme perdus dans cet envahissement. Le désordre allait s’aggravant. La profession de défenseur était avilie, et la justice n’existait plus.

Que fallait-il pour nettoyer les prétoires et remettre l’ordre dans ce chaos ? Le Consulat estima qu’on y parviendrait en instituant une nouvelle hiérarchie judiciaire, et en restaurant les auxiliaires, avoués et avocats. L’événement prouva qu’il avait raison. Toutefois si, dès le 27 ventôse an VIII, les tribunaux sont organisés, si la représentation des plaideurs est réglée, si les avocats, enfin, se retrouvent entre eux, débarrassés de la contagion des agens d’affaires improbes, dix ans vont passer encore avant que le Barreau lui-même, sa discipline et sa force, renaissent officiellement. En fait, les anciens avocats s’étaient groupés et ils attiraient à eux les nouveaux venus. Le 13 mars 1804, la loi qui rouvrit les Ecoles de droit disait « qu’il serait formé un tableau des avocats exerçant près les tribunaux. » Un tableau » c’est-à-dire la liste des avocats admis à plaider. Encore un peu, le tableau une fois arrêté, l’Ordre aurait repris sa vie corporative. Le Conseil d’État devait statuer par un règlement