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l’Ordre, au XVIe siècle, présentaient ainsi une foule de noms, dont chacun sait quelle fut ensuite la fortune. Voici un Christophe de Thou : il était avocat, il devint président, puis premier président ; et, fils lui-même d’avocat, il fut le chef d’une longue lignée d’hommes de robe. Lamoignon est aussi, parmi les parlementaires, le nom d’une famille illustre : elle vient du Barreau ; Charles de Lamoignon fut avocat avant d’être conseiller ; il eut vingt enfans, dont l’un devint président à mortier ; son descendant, Guillaume, devait être, au XVIIe siècle, le fameux « Premier » ami de Boileau. On pourrait citer aussi les Brulart, les Séguier, les Talon, les Lemaistre. Montholon, Poyet furent chanceliers. Dans la mercuriale de 1569, l’avocat général Dufour de Pibrac définissait le Barreau : « Le séminaire et la pépinière non seulement de ceste cour de Parlement, mais aussy de toutes les cours de ce royaume[1]. »

L’Ordre des avocats est ainsi l’école des magistrats : c’est en suivant les audiences qu’ils se forment, très jeunes, au respect de la justice ; c’est en plaidant qu’ils apprennent les affaires et le droit : ils sont enfin parfaitement préparés à la tâche difficile de juger ; ils quittent la barre pour s’asseoir aux bancs fleurdelisés ; mais ils gardent de leur origine une affection particulière pour la profession où ils se sont élevés, pour le corps qui les imprégna de son esprit et de sa discipline. Ils représentent un courant ininterrompu qui, de la Cour au Barreau, communique les habitudes pareilles, fortifie les traditions, façonne une classe d’hommes voués à la justice, comme le prêtre à l’autel. On comprendra qu’en cet état de relations pour ainsi dire filiales, le Parlement ait soutenu de tout son pouvoir le Barreau contre les intrus. Or à toute époque, aux XVe et XVIe siècles comme aujourd’hui, les avocats ont été menacés par une concurrence. Les concurrens modernes sont les agens d’affaires qui s’intitulent « avocats, » mais qui ne sont pas inscrits à un barreau et ne peuvent se dire avocats à la Cour. Jadis, c’étaient les solliciteurs. Les avocats, — les vrais, — avaient, dans la grande salle, des bancs placés contre les piliers et pourvus de buffets où ils enfermaient les procédures : chacun s’y trouvait toujours au même endroit, et les cliens étaient certains de l’y rencontrer. Or de ces bancs, si nécessaires, suivant

  1. Delachenal, Histoire des avocats au Parlement de Paris, 1300-1600.