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effet qu’il en fût ainsi, et on aperçoit ses raisons. L’une, la plus apparente, est toute professionnelle : il n’est pas possible de rendre la justice sans avocats ; il est difficile de rendre une bonne justice sans de bons avocats. La fonction essentielle du Barreau est de faciliter au magistrat sa tâche, ou, plutôt, de le mettre à même de juger. Avant tout, le juge a besoin de savoir quel est l’objet précis du litige, les prétentions respectives des parties, et c’est à quoi sert l’exposé de l’avocat qui ne peut être utile qu’après une minutieuse étude des pièces ; puis le juge a besoin qu’on lui soumette les argumens pour qu’il les pèse et choisisse ; enfin il lui faut la discussion juridique qui lui montre la relation de la loi avec les faits, l’amène d’une règle très générale à un cas très particulier, l’incite enfin au fameux « distinguo » qui est, à lui seul, toute la science du droit. Combien la justice est gênée par des avocats dont les juges auraient sans cesse à se défier ; combien elle est assurée au contraire, quand la plaidoirie s’applique, non à tromper les juges, mais à les éclairer et à les convaincre, c’est une évidence. Le Parlement y trouvait le motif le plus direct pour souhaiter une corporation d’avocats, qui s’associât à son œuvre et par conséquent à lui-même par le respect de soi et de la fonction. Il avait, à n’en pas douter, une autre raison de se lier le Barreau à lui ; il avait le souci de sa gloire. La puissance, où il atteignit si vite et qui fut si longtemps seule en face du pouvoir royal, comptait sur le Barreau, comme sur l’auxiliaire indispensable : elle avait besoin de son concours permanent, de ses talens et de ses vertus. Pour que le Parlement fût grand, il lui fallait non seulement un Barreau toujours prêt à assurer le service judiciaire, mais un Barreau éminent lui-même, et qui prît, en toute occasion, fait et cause pour les magistrats. La Cour ne poursuivait donc, à l’ordinaire, son train majestueux que par l’aide de son Ordre d’avocats : elle trouvait en lui, aux heures de lutte, l’allié nécessaire qui, en se retirant, paralysait aussitôt les mesures de rigueur prises contre elle. C’en était assez pour établir l’union : le Parlement mit tous ses soins à la rendre honorable, effective, profitable.

Il y employa d’abord son autorité. Avant tout, il devait imposer au Barreau le sentiment de l’œuvre auguste à laquelle il l’associait. Le tableau étant formé, les avocats étant ceux-là seuls qui avaient satisfait aux règles d’admission, — capacité et moralité, — le Parlement exerçait sur eux un droit de